Maître Nathaniel Chantecler est l’estimable maire de Lud-en-Brume, capitale du Dorimare, une contrée nichée tout contre le royaume de Faërie. Lud-en-Brume et son maire déploient de grands efforts pour ignorer toute incursion féérique dans leur univers bien ordonné, régi par la loi et la tradition.
Tout cela est mis à mal quand la consommation de fruits féériques explose. Les autorités, et Maître Nathaniel en premier lieu, ont bien du mal à endiguer ce fléau qu’ils ne s’autorisent même pas à nommer. Pourtant, il va devoir se résoudre à regarder la réalité en face lorsque son propre fils, Radulph, est victime des effets d’un fruit féérique et que sa fille disparaît.
Lud-en-Brume est un roman étrange, que l’on sent bien à la confluence des récits fantastiques gothiques et de la fantaisie moderne. Le style d’écriture de l’auteure, Hope Mirrlees, est lui-même à mi-chemin entre ces univers, mêlant les descriptions doucement poétiques à des dialogues pleins d’humour et de morgue. Le récit nous transporte dans un royaume fictif, qui pourrait fort bien être la province reculée d’une principauté du début du XIXe siècle, avec ses règles insolites pour les étrangers et riche de son propre folklore et de ses habitants hauts en couleurs.
Le lecteur ne peut qu’être curieux face à ce récit : l’histoire du Dorimare est nimbée de mystère, tout comme le royaume voisin de Faërie, et plus encore ses habitants. Le comportement du protagoniste, Maître Nathaniel Chantecler, est également inattendu. Lui-même est une sorte de caricature de l’homme gentil mais un peu simplet, habitué à son train-train quotidien et qui ne remet pas grand-chose en cause… jusqu’au jour où ce petit monde est ébranlé et où il est obligé de se secouer. C’est en ce sens que la comparaison avec les écrits de Tolkien se justifie car Nathaniel est bien une sorte de hobbit se terrant dans sa Comté. Nathaniel pourra tour à tour se voiler la face ou partir dans de grandes exaltations, tant il est tourmenté entre son habitude de tranquillité et un irrésistible penchant pour l’aventure et la Faërie, qu’il parvient d’ailleurs de moins en moins à refréner à mesure que l’aventure progresse.
Les dynamiques familiales ou amicales sont ce qui m’a sans doute le plus étonnée, tant on voit ici que les personnages sont surtout des stéréotypes. La plupart n’ont ainsi qu’une seule grande fonction et de maigres traits de caractère : le meilleur ami de Chanteclerc est loyal, hostile au changement et aime le fromage, la femme de Chanteclerc est perspicace mais peu sensible, etc. Maître Chanteclerc n’est lui-même pas le plus appréciable des héros tant il est névrosé. On ne peut en outre que constater que le sort de son fils lui importe bien plus que celui de sa fille, pourtant également en danger. Il s’agit d’un parti pris assumé de l’auteure, qui maltraite ses personnages, tord leurs convictions dans tous les sens, pour les pousser à évoluer.
Avec ses habitants, c’est tout le Dorimare qui évolue. Le monde féérique y fait des incursions de plus en plus nombreuses. La dernière partie du récit va d’ailleurs jusqu’à plonger le lecteur dans l’univers perpétuellement changeant de la Faërie. Ces passages sont à la fois fascinants et effrayants.
Les nombreuses illustrations de Hugo de Faucompret rendent bien toutes ces composantes du récit et se font tour à tour oniriques, inquiétantes, mystérieuses ou plus précises. En ce sens, elles forment des compagnes presque indispensables à la lecture et ne font que renforcer la qualité de cet ouvrage.
Lud-en-Brume est, comme le Dorimare, un curieux objet : un artefact du passé plein de mystère, de poésie mais aussi d’humour fantasque, une petite gemme sortie d’un grenier, un conte qui plaira à tous les amateurs de fantastique et de contes de fées. En outre, l'édition proposée par Callidor est de très bonne facture, c'est un véritable plaisir de tenir cet ouvrage entre ses mains, presque autant que de le parcourir !