Le caractère de Hubert 31-36 ne le prédestinait pas à naître dans ce monde curieux et dystopique. Ici bas, il est interdit de sourire, lorsqu'on est chez les Sinistres, en bas de la tour... Alors, même si Hubert est bien vite lâchement abandonné par ses sinistres parents, il n'en reste pas moins que, comme eux, il va subir l'ablation du sourire. Et au prochain sourire, ce sera la mort de rire...
Ainsi, cela ne rigole pas pour ce peuple qui a pour roi celui qu'on appelle le Roi Joyeux. Ce dernier vit au sommet d'une magnifique tour blanche, dont l'éclat rejaillit, par rapport au vert, au gris et à l'ocre, qui sont les couleurs qui dominent le royaume...
Toujours est-il qu'on retrouve Hubert, quelques années plus tard. L'enfant qu'il est devenu va, comme tout le monde, avoir l'occasion de rire aux éclats, durant quelques instants, alors que des tracts descendent du ciel : le Roi Joyeux vient d'être papa, avec la naissance de la Princesse Carmine... L'éclat est de courte durée, et la population de Sinistres retourne vite, et durablement, dans la grisaille et le labeur quotidiens...
Mais les choses vont bientôt changer, encore quelques années plus tard, avec ce procès contre Fol Espoir, le frère aîné du Roi Joyeux, oncle de Carmine. Fol Espoir est persuadé que le trône lui a été volé par son frère, mais se voit jeté en exil, avec les Sinistres : il lui sera désormais interdit de rire, lui aussi, au grand désespoir de Carmine, qui adorait son si joyeux oncle. Déjà, il se murmure que le Roi Joyeux n'a rien de joyeux, en tout cas bien moins que son frère...
Quelques années passent encore, et Carmine, elle aussi, va se rendre chez les Sinistres, sur un plan machiavélique de Fol Espoir... Ce dernier contrôle beaucoup de choses, malgré son exil. Il souhaite reprendre le pouvoir, et faire en sorte que son frère soit lui-même exilé. Pour cela, quoi de mieux que de toucher Carmine ? C'est compter sans le courage de Hubert, qui fait la rencontre hasardeuse de la Princesse, qu'il a toujours rêvé de rencontrer. Une princesse qui ne sera pas si facile à gérer, dans le monde des Sinistres...
L'Homme sans sourire est un one-shot qui paraît chez Grand Angle, et il s'agit d'un véritable OVNI dans le monde du neuvième art, notamment au niveau du scénario : Stéphane Louis s'est lâché, au travers d'un scénario complètement délirant, à la voix off très particulière, et ce pour notre plus grand plaisir. On se retrouve immédiatement happés dans cet univers hallucinant, où les parallèles avec notre propre société sont bel et bien présents, surtout avec la situation sanitaire que l'on vit depuis près d'un an.
Ainsi, le scénariste met franchement ses tripes dans cette histoire, en nous présentant aussi une histoire très personnelle, dans un final proprement magnifique. Entre parenthèses, L'homme sans sourire est typiquement un livre à lire, puis à relire, une fois que l'on sait : un fait assez rare pour être signalé.
Au niveau graphique, Stéphane Hirelman (au dessin) et Véra Daviet (aux couleurs) font un travail remarquable : le découpage des planches est tout à fait en ligne avec la narration, à un point qui est rarement atteint. Les Sinistres ont juste ce qu'il faut de triste, tout en étant attachants. On retrouve des couleurs tantôt tristes, bien entendu volontairement, et en opposition, une tour blanche qui est du plus bel effet.
Le livre n'est pas sans rappeler d'autres univers dystopiques : je pense à un film comme Brazil, ou encore à une série de Luc Brunschwig comme Urban, qui m'avait fait une très forte impression, et que je relis régulièrement depuis. L'univers est cohérent, franchement très travaillé, et c'est un véritable tour de force de présenter un univers si approfondi en un one-shot.
Chapeau bas : L'Homme sans sourire est un superbe livre, qu'il conviendra de lire et relire, régulièrement là aussi, tant cela fourmille d'intelligence et de petits détails.