Guidanio Cerra est fils de simple tailleur, mais il est intelligent et prometteur, ce qui lui a valu d'être admis dans l'école que le maître Guarino, un des meilleurs hommes de son temps, a ouverte à Avègna pour les enfants de la noblesse. Pour "rendre un peu de ce qui lui a été donné", il a accepté un poste à la cour de Mylasia, une des cités-Etats de Batiare. Une nuit, il subodore l'assassinat imminent du comte, un tyran particulièrement cruel, et préfère aider la meurtrière plutôt que de la contrer. C'est ainsi qu'il va faire la connaissance d'Adria Ripoli, une femme flamboyante qui vit bien plus librement que les autres nobles de son temps. Bientôt, il va être amené à rencontrer d'autres hauts personnages, notamment les deux plus compétents commandants mercenaires qui soient : Folco Cino d'Acorsi et Téobaldo Monticola di Rémigio. Les deux hommes se vouent une haine farouche, dont la portée va bien plus loin que les petites cités dont ils sont les seigneurs respectifs, influençant l'équilibre politique de la Batiare toute entière.
Un éclat d'antan prend place dans le même univers imaginaire que bon nombre des autres ouvrages de Guy Gavriel Kay, qui lui permet de revisiter à sa sauce les événements historiques du Moyen-âge et de la Renaissance. Si chaque roman est indépendant, celui-ci a pourtant un lien très fort avec celui paru précédemment, Enfants de la Terre et du Ciel. En effet, il se situe dans la même période historique et fait intervenir plusieurs personnages communs, même si le nouveau roman ne quitte guère la Batiare (alias l'Italie) tandis que le précédent s'aventurait en Orient jusqu'à Sarance (Byzance). Un éclat d'antan relate des évènements un peu plus anciens que dans Enfants de la Terre et du Ciel, puisqu'il commence alors que Sarance n'est pas encore tombée aux mains des Asharites (Musulmans) et se termine là où commence le deuxième. J'ai parfois regretté de ne m'être pas rafraichie la mémoire avant cette lecture, quand des références m'échappaient, mais le roman peut cependant être lu séparément sans souci.
Guy Gavriel Kay s'intéresse donc ici aux condottieri de l'Italie du XVe siècle. Le décor : un territoire morcelé en multiples cités-Etats, où la violence est omniprésente, où chaque printemps voit renaître son lot de guerres entre cités pour que l'une impose sa suprématie (et fasse payer des taxes, évidemment) sur l'autre, ou vice-versa. Au premier plan : une querelle familiale qui a pris des proportions déroutantes, inspirée de celle historique des Montefeltro et des Malatesta. A la narration : un homme issu du peuple, qui s'imaginait devenir librairie à Séressa (Venise), mais que les multiples rencontres avec des puissants ont mené bien plus haut qu'il n'aurait pu l'imaginer.
Le récit tantôt est à la première personne (quand Guidanio relate les événements qu'il a lui-même vécus), et tantôt rapporte ce que vivent d'autres personnages clés du récit. Comme toujours, chacun des nombreux personnages est très nuancé et travaillé, il n'y a pas des bons contre des méchants, mais juste des gens humains qui font ce qu'ils espèrent être les meilleurs choix pour eux ou ceux qui leur sont chers. Le duo Folco/Monticola n'est pas sans évoquer d'autres paires d'ennemis honorables imaginés par l'auteur (Diarmuid/Ailéron dans La Tapisserie de Fionavar, Rodrigo/Ammar dans Les lions d'Al-Rassan...) car, s'ils se détestent, ils sont tous les deux très honorables et respectent profondément les capacités de leur antagoniste.
Le contexte historique est merveilleusement décrit. La Renaissance est en vue, et les puissants encensent les arts, la philosophie, les sciences. Mais la Batiare reste un monde dangereux au quotidien, où le sang coule facilement et où la vie de tout un chacun ne compte guère. Pour ma part, j'ai particulièrement apprécié les passages consacrés à l'étonnante course de Bischio, inspirée du fameux palio de Sienne.
Les lecteurs familiers de l'auteur retrouveront ici son style très reconnaissable. Il joue un peu moins avec nos nerfs qu'il a pu le faire par ailleurs, daignant éclairer les allusions énigmatiques assez rapidement. Par contre, il insiste toujours beaucoup sur les moments clés dans une vie, l'importance des choix qui peuvent être faits et leurs conséquences. L'action et les rebondissements ne manquent pas même si le rythme n'est pas trépidant, et finalement les pages se tournent toutes seules. Encore un excellent cru de l'auteur !