Ce recueil qui regroupe toutes les nouvelles jamais publiées par le regretté Joël Champetier, ainsi que le début du roman sur lequel il travaillait à la fin de sa vie, permet de voir l'étendue de son talent dans les différents genres de l'imaginaire. Bien sûr, il y en a que j'ai davantage aimé que d'autres : j'avoue par exemple avoir eu tendance à passer rapidement sur celles impliquant Dieu ou la foi, telles que Coeur de fer ou Dieu, un, zéro, et Anciennes cicatrices, avec sa forme d'art que Sade n'aurait pas reniée m'a paru trop courte, cependant que Esclaves du sable m'a paru à peu près incompréhensible, sans doute car son auteur a trop bien réussi dans son respect de la consigne, qui était de rédiger le début et la fin d'un roman.
La nouvelle humoristique n'est pas un exercice de style facile, mais Champetier y était indubitablement doué, comme le prouvent la sympathique et drôle Défectuosité, dont seul le décor appartient à la SF, mais qui pourrait aussi bien se dérouler dans votre cuisine, la très amusante L'Onomastique du futur, qui montre combien il vaut finalement mieux être identifié par un numéro. Ce que Hercule est allé faire chez Augias et pourquoi il n'y est pas resté est drôle par son titre et son thème, l'importance du système d'évacuation d'un vaisseau, ou d'une ville, voire d'un individu, et de celleux qui s'en occupent. Il y a d'autres nouvelles dans lesquelles l'humour intervient d'une certaine façon par la bande. Je pense notamment à Le Pispodr, version SF du jeu du mistigri, Luckenbach, les mathématiques et autres dangers de Montréal, une histoire de savant fou et de rivalités entre chercheurs ou Petite Peste, où l'on voit l'IA d'un vaisseau qui a des ennuis réveiller une adolescente passionnée d'astronautique.
Je n'ai pas cité parmi les précédentes Le nettoyage de la Comté - qui n'a bien sûr rien à voir avec le chapitre homonyme du Seigneur des Anneaux, et se passe bien plus tard - parce que, si l'humour en est un élément important, je l'ai vraiment beaucoup aimée d'abord pour le talent avec lequel l'auteur se coule dans le monde de Tolkien, et en même temps se l'approprie et le détourne : du grand art ! Quant à En petites coupures, où l'on constate que les bouteilles ne sont pas forcément les seuls contenants susceptibles de libérer un djinn quand brisés, si je l'ai trouvée hilarante, je n'en ai pas moins admiré la façon dont l'auteur réussit à y faire évoluer les personnages, par petites touches et sans alourdir ni allonger démesurément son texte. C'est l'une de mes préférées du recueil.
Le fantastique n'est pas forcément mon genre préféré, mais j'ai beaucoup aimé ce qu'en fait Joël Champetier. Qu'il s'agisse de Elle a soif, dont la chute ne m'a qu'à moitié surprise, mais qui n'en est pas moins remarquable, avec son humour grinçant, de L'heure de départ, où un congrès particulier impose à un hôtelier de faire partir tous les autres clients sous peine de conséquences sévères, ou surtout de la superbe et glaçante Créatures de poussière, qui renouvelle le vieux thème de la maison hantée, l'une de mes préférées, elles m'ont vraiment plu. Et encore devrais-je sans doute ajouter à cette courte liste la magnifique et touchante Icabod Icabod Crane, où un père disparu continue à protéger son fils et son ancienne compagne, par l'intermédiaire des rêves de l'enfant, car l'entremêlement entre surnaturel et réalité m'a paru particulièrement réussi.
Pour mon plus grand plaisir, un bon nombre de nouvelles appartiennent clairement à la SF, et il y en a dont je suis sûre que je me souviendrai longtemps, au premier rang desquelles Le chemin des fleurs, à la lisière du fantastique, même si la communication inter-espèces est un trope ancien de la SF, Poisson-soluble, avec un cycle de vie d'un organisme extra-terrestre puissamment original, et bellement écrite, Retour sur Colonie, qui décrit une planète du système de Sirius colonisée selon la méthode du Transfert, avec des conséquences imprévues, à laquelle Elisabeth Vonarburg a collaboré, et dont la réflexion sur l'identité, son maintien et son évolution, m'a paru en effet assez typique de l'autrice, et surtout Salut Gilles !, encore une nouvelle à l'humour grinçant, avec ces "foetus post-partaux" qu'il est hors de question d'appeler des bébés, mais qu'il n'en faut pas moins envoyer ad patres, si j'ose dire, et dont la fin glaçante me reste en mémoire. Toujours en SF, Le carrousel martien n'est une nouvelle que parce que le décès de son auteur l'a empêchée de devenir le roman qu'elle promettait d'être, cette histoire d'urgence médicale survenant dans l'environnement supposément sûr d'une simulation est tout à fait captivante, si, inévitablement, sa lecture m'a frustrée.
Je n'ai pas cité toutes les nouvelles, et même pas toutes celles qui m'ont plu, et ne peux qu'encourager les lecteurs et lectrices de cette chronique à se faire leur propre opinion. En tout cas, cette anthologie, classée dans l'ordre chronologique d'écriture, est un excellent moyen de découvrir l'auteur, pour celleux qui n'en auraient encore rien lu. Pour ses fans, c'est évidemment un must.