Après le désastre de 1871, une paix fragile a été signée entre le Nouvel Empire et l'Alliance, qui est bien consciente de son infériorité militaire. Tout pourrait basculer à Constantinople, où les streloks russes s'amarrent impunément à leur ambassade, en pleine ville, malgré les efforts du sultan pour rétablir un tant soit peu l'équilibre des forces.
C'est dans cette poudrière que revient Martina, qui y est née, mais qui en est partie des années plus tôt. En effet, pour une voleuse de talent et d'ambition, la restitution prévue au sultan ottoman, par le Nouvel Empire, du Shah, l'un des plus célèbres diamants du monde, est une tentation irrésistible. Mais dès son arrivée elle apprend la disparition de sa jeune sœur, Yelena. La traque de la disparue va s'entrelacer avec la mise en place du cambriolage, et cela ne rend que plus importante sa situation de préceptrice du jeune fils de l'ambassadeur russe.
Pendant ce temps, que ce soit à Constantinople ou dans le Nouvel Empire, les réseaux d'espionnage alliés disparaissent, comme victimes d'une maladie contagieuse. Aron Varga, envoyé à Novoser, craint bien d'être le prochain espion à payer de sa vie la paranoïa institutionnelle du Nouvel Empire, et la trahison inexplicable de sa collègue Ida.
Ce roman bourré d'action se lit d'une traite, sur le mode "tablette de chocolat" : un carré, un seul, oh et puis un autre, et puis un autre, et puis... D'abord, le monde imaginé par Benjamin Lupu, cette dictature industrielle qui semble préfigurer le stalinisme, est cohérent de façon convaincante, même si j'ai eu du mal à croire à une amirale dans la flotte anglaise de 1885. Il est difficile de ne pas évoquer la grande ombre de Jules Verne, dont l'un des romans est d'ailleurs mentionné comme cadeau. A vrai dire, il y a quelque chose dans Yarost' qui m'a en effet évoqué la Flamme Errante de La maison à vapeur... Toujours pour faire un lien avec le roman de Verne, l'introduction des stalkars en tout genre est bien amenée, comme l'évolution de leur utilisation, tant civile que militaire, et les éventuels passages de l'un des domaines à l'autre, cependant que les duels illégaux organisés rappellent les combats d'animaux, tout aussi illégaux, de la période victorienne.
L'action est quasi-incessante, sur deux lignes d'intrigue différentes, puisqu'on suit successivement ce qui se passe à Constantinople et à Novoser. Je dois dire que l'introduction de cette seconde ligne m'a surprise au départ, mais elle était suffisamment intéressante en soi pour que je la lise avec plaisir, confiante dans le fait qu'elle avait sûrement une raison d'être, ce qui est bien sûr le cas. En fait, j'ai préféré les personnages de cette ligne, que j'ai trouvé plus fouillés. En effet, à part Maurice et Mortier, dont la relation énigmatique et bien développée retient l'attention, j'ai trouvé plutôt schématiques les personnages de Constantinople.
Les lecteurs des Contes et récits du Paris des Merveilles, de Pierre Pevel & al., y avaient certainement remarqué la nouvelle de Benjamin Lupu, Les Portes de l'OutreMonde, où il émulait habilement l'auteur qu'il dit considérer comme l'un de ses maîtres. C'était mon cas, et je ne manquerai pas de suivre la suite de sa carrière d'écrivain, car ce dernier roman, malgré quelques légers bémols, m'a paru une lecture de distraction éminemment plaisante.