Comme il est maintenant de tradition, la nouvelle lauréate du Prix Joël Champetier est publiée dans le volet Fictions du numéro d'hiver de Solaris. En l'occurrence, il s'agit de Ismaël, Elstramadur et la destinée, de Christian Léourier, auteur français prolifique dont nous avons chroniqué ici une partie de l'intégrale du Cycle de Lanmeur. Dans cette nouvelle, on voit une nef trop vieille, avec un unique survivant à son bord, se poser tout près de cinq cités en guerre quasi-constante. Le destin, sans doute. Il faut un incontestable talent pour écrire une nouvelle originale sur un trope très rebattu, mais Léourier y arrive, avec un ton très personnel.
L'amour au temps des univers parallèles, de Hugues Morin : Après avoir visité en touriste Munich en 1939 et Dallas en novembre 1963, le narrateur décide de passer vraiment du temps dans un autre univers. L'écriture de ce texte est vraiment plaisante, avec une touche d'humour bienvenue dans la référence à H.P. Lovecraft, et le rappel qu'on est toujours l'univers parallèle de quelqu'un, et que tout.e lecteur.ice a ses propres biais cognitifs.
Au Pré de l'Asphodèle, de Claude Bolduc : Dans l'auberge qui porte ce nom, les clients du premier niveau et ceux de la mezzanine ne se côtoient pas. En fait, ils ne se voient même pas. Sauf accident. J'ai beaucoup aimé cette très belle nouvelle, originale et dépaysante, entre classicisme et fantastique.
Les pompes de Titan, de Jean-Louis Trudel : Au cœur de Titan, Lambert, Nardo et leurs camarades surveillent les pompes de Titan, et leur niveau de radiation, de crainte de rejoindre les Irradiés, perclus de cancer et qui, ne risquant plus rien, vivent en surface, exposés aux radiations cosmiques. J'ai beaucoup aimé aussi cette nouvelle habile sur la peur de la maladie, et ce qu'elle peut faire accomplir. Un bel exemple de ce que peut et doit faire la science-fiction, à savoir faire réfléchir à l'actualité, en mettant celle-ci juste assez à distance pour qu'on la voie mieux.
Les cœurs tachyoniques ne peuvent aimer, de Derek Künsken : Un texte poétique décrivant un voyage à des vitesses supra-luminiques, auquel je suis restée totalement étrangère, j'en ai peur, malgré sa belle écriture.
Explorer Jéhovah, de Mario Tessier : Un corps céleste gigantesque, anthropomorphe, se met en orbite lointaine de la Terre. Pour les habitants de celle-ci, il s'agit à l'évidence de l'origine de leur foi, ou de leur mythe fondateur (Yahveh, Dieu, Allah, Bouddha, rayez les mentions inutiles). Diverses missions d'exploration sont donc lancées. Cette amusante nouvelle remplit tout à fait son rôle d'illustration à la fois du rapport des êtres humains au sacré, et de la course à l'espace, sans oublier de divertir son lecteur ou sa lectrice. Du grand art !
Dans ses Carnets du Futurible, intitulés cette fois La Machine à écrire... de la (science)-fiction, Mario Tessier nous dit tout sur la machine à écrire, sa vie, ses mœurs, son œuvre, et sa disparition, en attendant son éventuel retour. Je ne doute pas que les plus jeunes lecteurs apprendront beaucoup de choses sur ce temps révolu d'avant l'entrée de l'informatique dans nos vies de tous les jours.
Enfin, la partie Critiques de la revue m'a paru particulièrement touffue dans ce numéro, tant pour les parutions québécoises que pour celles de notre côté de l'Atlantique. Que l'on soit ou non du même avis que les chroniqueurs et chroniqueuses de Solaris, c'est toujours une lecture passionnante et instructive, il serait dommage de vous en priver !