Les Chroniques de l'Imaginaire

La sirène, le marchand et la courtisane - Gowar, Imogen Hermes

Jonah Hancock commençait à redouter que La Calliope, le bateau dont il n'a aucune nouvelle depuis dix-huit longs mois, fût perdu. Or, un beau jour de septembre 1785, Tysoe Jones, son capitaine, se présente sur le seuil de Mr Hancock, et lui dit qu'il a vendu le bateau afin d'acheter une rareté : une sirène ! Devant la colère incrédule du marchand et armateur, il soutient que cette laide chose recroquevillée fera sa fortune. D'abord incrédule, puis mal à l'aise, le timide marchand se décide à exposer sa nouvelle acquisition, et réalise qu'il a en effet en sa possession une attraction que les Londoniens de tous les âges et de toutes les classes sociales veulent voir.

Après avoir été entretenue par un noble pendant des années, Angelica Neal se retrouve très dépourvue à la mort de ce dernier. Elle n'en est pas moins déterminée à voler de ses propres ailes, et à trouver un protecteur sans passer par l'intermédiaire de son ancienne "abbesse", Mrs Chappell, malgré l'invitation insistante de celle-ci. Toutefois, elle sait qu'elle a intérêt à rester dans ses bonnes grâces, et elle consent donc à être présente dans la maison close pour agrémenter la soirée du propriétaire de la sirène le premier soir où celle-ci est mise en montre dans l'établissement. Elle est finalement bien contente d'y être allée, puisque c'est ce soir-là qu'elle y rencontre le beau et jeune Georges Rockingham.

Ce premier roman d'une jeune autrice britannique est intéressant à plus d'un titre. D'abord, il s'agit indubitablement d'un roman historique bien fait, qui recrée l'atmosphère du Londres de l'époque géorgienne (d'après ce qu'en dit la presse anglaise, que j'ai tendance à croire à ce propos), et où j'ai retrouvé une ambiance très XVIIIe siècle telle que lue ailleurs, notamment dans les rapports entre les sexes, et cette alliance - étrange à nos yeux - entre raffinement et vulgarité.

Ensuite, l'équilibre entre roman historique et roman fantastique est remarquable. Pendant les deux tiers du roman, en fait, on est convaincu que la fameuse sirène qui déclenche toute l'histoire est une fabrication, une chimère faite de main d'homme, comme celle exposée à la British Library pendant l'exposition Harry Potter, A history of magic. Il faut attendre le dernier tiers pour avoir accès à autre chose. Toutefois, la réalité de l'existence d'un être surnaturel n'est pas un point si important que ça, et l'auteure le montre bien : la sirène, vraie ou fausse, change bel et bien la vie de ceux et celles qui la côtoient.

Et c'est là pour moi le point fort de cette histoire : les personnages, à commencer par son "héros", le timide, bedonnant et peu imaginatif Jonah Hancock, marchand plus vrai que nature, terrorisé par toute personne élevant la voix si peu que ce soit, à commencer par sa redoutable sœur Hester. Celle-ci est tout à fait crédible, en parente tyrannique, mais veillant aussi au bien-être présent et futur des siens, et en tant que telle opposée diamétralement à la "courtisane", avec qui toutefois elle finit par arriver à une entente, entre femmes toutes deux conscientes de l'importance de l'argent et des contrats qui encadrent sa transmission. L'évolution d'Angelica Neal ne m'a convaincue qu'à moitié, mais peut-être en avais-je manqué certains indices, et de toute façon ce n'est qu'un très léger bémol.

Si vous cherchez un roman bien fait et original, cette histoire souvent drôle, sur le mode léger, avec de remarquables personnages féminins, aura à mon avis beaucoup d'atouts pour vous séduire. Pour ma part, je l'ai beaucoup aimé, et je ne manquerai pas de guetter les prochaines sorties de son auteure.