Juin 1988. Schûichi Hioka, jeune lieutenant de police, est affecté dans un commissariat de la préfecture d'Hiroshima. Il est l'adjoint du commandant Ôgumi, l'un des meilleurs enquêteurs du Japon, qui a la réputation d'être ingérable. Très vite, Hioka comprend que l'image du loup solitaire de son chef n'est pas injustifiée. Ôgumi est très proche de certains yakuzas et il n'hésite pas à utiliser des méthodes brutales pour parvenir à ses fins. Son attitude désinvolte, sa façon de vivre et de penser ainsi que l'argent qu'il dépense sans compter intriguent le jeune policier. Même les yakuzas le traitent avec beaucoup de respect et de crainte.
Lorsqu'un comptable lié à un gang de yakuzas disparaît, c'est à eux qu'est confiée l'enquête, car la crainte d'une guerre des gangs nécessite des hommes qui connaissent le milieu et qui soient capables de dialoguer avec toutes les parties. Entre eux s'installe une véritable relation de maître à élève, à l'ancienne, à la japonaise.
Ce qui est plaisant dans ce polar, c'est l'antagonisme entre les deux personnages principaux, avec d'un côté le jeune flic soucieux de respecter les règles et de l'autre un électron libre aux méthodes expéditives et à la personnalité trouble. Ôgumi est particulièrement intéressant car il ne correspond en rien à l'image que l'on se fait des Japonais respectueux et disciplinés. C'est exactement tout le contraire, et c'est assez amusant de le voir déambuler au milieu de ses compatriotes plus policés dans une société régie par des règles ancestrales.
On comprend vite que sous une apparence dilettante, c'est un coriace et qu'il vaut mieux ne pas être son ennemi. C'est une personnalité complexe qui possède plusieurs facettes qui lui permettent de se fondre dans n'importe quelle couche de la société. Ce n'est pas un personnage invincible et sans peur car il laisse transparaître quelques failles qui le rendent fascinant.
Quant à Hioka, de relativement naïf et soumis, il devient petit à petit pragmatique et s'accommode plus ou moins difficilement des manières de son chef. Sa façon de penser et de voir les choses évolue au contact de son supérieur, car même s'il ne les approuve pas, il comprend petit à petit les méthodes et surtout la personnalité du commandant Ôgami. Ce qui est intéressant, c'est que nos deux héros évoluent dans un monde qui n'est pas tout blanc ou tout noir, les limites sont parfois franchies mais toujours dans le but de rendre justice.
Les personnages secondaires, Akiko, la patronne d'un bar, et Moritaka Ichinose, un yakuza, sont plutôt attachants et jouent un rôle important dans l'intrigue, nous permettant de mieux appréhender le caractère d'Ôgami.
Yûko Yuzuki, au travers de son polar et de ses personnages, réussit à nous faire découvrir la culture japonaise ainsi que les codes plutôt rigides qui la régissent. De plus, pour ceux qui ne connaissent pas le monde des yakuzas, ce récit vous fera saisir la complexité de cette mafia et la place, bizarrement importante, voire omniprésente, qu'elle occupe dans le pays. La description de la vie au Japon, du monde des yakuzas et des procédures de la police peuvent paraître digressives mais elles ont leur importance dans la compréhension de l'intrigue et de la société japonaise.
Cette lecture est un moyen plutôt agréable de se cultiver un peu tout en découvrant une intrigue rythmée, une écriture fluide et efficace, qui évite de tomber dans certaines facilités narratives.
Je n'ai pas lâché ce polar qui a réussi à m'embarquer dans ce monde complexe et plutôt noir de ce district d'Hiroshima. La chute est surprenante et nous ouvre les yeux sur chaque début de chapitre.
J'espère que d'autres ouvrages de Yûko Yuzuki seront bientôt publiés en France.