Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Père / La Mère / Le Fils - Zeller, Florian

Trois pièces de théâtre se jouent dans ce livre. Nous sommes face à une belle explosion de jeux scéniques que Florian Zeller sublime tout au long des pages. Cette trilogie familiale nous décrit un père perdu face à un Alzheimer qui prend de plus en plus de place dans sa vie, une mère dépressive que tout le monde abandonne et un fils adolescent troublé par la séparation de ses parents.

Première pièce : Le Père. Une farce noire comme le dit si bien l'auteur Florian Zeller. André ne supporte pas l'idée de vivre avec des aides-soignantes. André n'est pas fou ! Tout va bien et pourquoi sa fille Anne insiste tant pour qu'il aille vivre chez elle ? Et qui est cette Laura qui est là pour l'aider ? Pourquoi y a t il de moins en moins de meubles dans l'appartement ? Pourquoi un matin Anne part vivre à Londres suite à son divorce, et pourquoi un autre jour est-elle toujours avec son mari ? André ne sait plus, et pourtant, il est bien là, personnage principal auquel on s'attache, il nous fait rire lors de petites saynètes drôlissimes. Mais n'est-il pas pesant ? Il fait suer son monde comme dit si bien son gendre ! C'est Alzheimer qui rentre en scène dans cette fin de vie si triste. Anne a une décision à prendre, placer son père en milieu médical. C'est une situation difficile à laquelle beaucoup d'entre nous sont confrontés. 

Dans Le Père, Zeller utilise comme procédé de perdre aussi bien le lecteur que le personnage principal. Il est complexe de bien s'y retrouver entre les scènes réelles et celles ancrées dans la tête des personnages. Et c'est là où tout le succès de cette pièce nait, car nous sommes autant perdus qu'André. André se dépouille de sa mémoire, il perd ses feuilles comme Zeller le dit à la fin de cette tragédie. Comment ne pas être démuni face à de tels dialogues ? Ce jeu tragique montre comment le personnage principal, en souffrant malgré lui, fait du mal à son entourage. Il résiste et replonge. Nous sommes gênés de rire face à tel drame et la farce noire de Zeller est époustouflante.

Seconde pièce : La Mère. Anne est dépressive. Son foyer se vide. Divorcée, son fils tant aimé et choyé au-delà de la normale, ne reviendra pas. Cette pièce est violente. Là aussi, le lecteur doit se concentrer entre les répétitions de scènes et les retours en arrière. Le lecteur divague avec la mère. On se retrouve dans sa tête. L'appartement se vide comme la vie d'Anne. C'est une femme inquiétante, à la limite de l'inceste quand elle questionne son fils sur ce que les gens peuvent penser d'eux deux, qu'ils pourraient, pourquoi pas, être un couple : une femme mûre et un jeune amant. Anne est hystérique, tendre, pathétique et séduisante. Sa vie appartient au passé. On assiste, ici, à sa chute.

Troisième et dernière pièce : Le Fils. Nicolas ne fait pas face à sa crise d'adolescence. C'est un drame voué à une fin tragique dès le début. Nicolas est un ado troublé par le divorce de ses parents. Il ne sait plus où vivre entre le nouvel appartement de son père et de sa nouvelle compagne et le bébé, et le domicile de sa mère où il étouffe. C'est une pièce plus facile à suivre car sans retour, mais extrêmement lourde à confronter. Il y a un espoir à chaque fin de scène pour mieux replonger dans la tragédie au début de la suivante. La crise d'adolescence peut devenir un drame profond. "C'est la vie qui me pèse". Que répondre à cette affirmation et quelle décision prendre ?

Florian Zeller est un de nos plus grands dramaturges français contemporain qui se joue le plus à l'étranger. Ces trois pièces traitent du sujet de l'abandon : l'abandon de la mémoire, l'abandon du mari et du fils, et l'abandon des parents. Les malentendus et quiproquos s'enchaînent, Zeller fuit les longues phrases, utilise les mots du quotidien et n'expose pas d'explications psychologiques. Le lecteur est presque dans la pièce tellement les dialogues sont prenants, comme si nous étions nous aussi dans les appartements, présents face à cette déchéance alarmante. Cette continuité chronologique que l'on retrouve tout au long de ces trois pièces de théâtre nous offre une happy end illusoire. Les dédoublements des personnages, la gêne que nous pouvons ressentir face à eux révèlent une vision inquiète du monde familial. Ce livre rassemblant ces trois magnifiques œuvres est très bien documenté et la préface de Gilles Costaz apporte des informations avec une précision minutieuse au récit. 

D'excellents acteurs ont repris sur scène et au cinéma ces dialogues. Robert Hirsch dans le rôle du père au théâtre et récemment Anthony Hopkins dans le film The Father, nommé aux futurs Oscars, ont excellé dans le rôle du Père, sans oublier Catherine Hiegel, qui au théâtre, a su jouer à la perfection la Mère dépressive. Cette vraie fausse trilogie est un réel chef-d'œuvre de la dramaturgie française.