Pour ce numéro 69 de Galaxies SF, Pierre Gévart a laissé carte blanche à Lucie Chenu pour un dossier consacré aux questions brûlantes (d'actualité, mais pas seulement !) que sont le sexe et les identités de genre. Ces questions sont si vastes qu'il ne s'agit en fait que de la première partie du dossier, dont la conclusion verra le jour dans le numéro 72.
Il est vrai qu'il y a de quoi dire là-dessus ! Les angles d'attaque sont nombreux et la revue reflète de manière pertinente cette variété d'approches en décomposant son dossier en plusieurs petits articles d'histoire et d'analyse, chacun consacré à un thème bien défini. La sexualité en général, le BDSM, l'exotisme et l'altérité, l'homosexualité, le changement de sexe ou encore le genre dans le langage, chacun a droit à quelques pages, juste ce qu'il faut pour brosser un tableau d'ensemble et proposer des pistes de lecture sans trop s'appesantir. Plusieurs auteurs dont l'œuvre touche fréquemment à ces sujets ont également droit à de courtes présentations : Estelle Faye, Francis Berthelot, Becky Chambers et Sabrina Calvo.
Pour respirer entre deux articles, le dossier propose huit nouvelles (dix dans l'édition numérique). Elles sont toutes d'excellente facture, mais dans la mesure où elles parlent toutes de sexe, il va sans dire qu'elles sont à ne pas mettre entre toutes les mains ! La race nouvelle d'Albert Keim, histoire de la fécondation d'une femme par un extraterrestre, est un texte singulièrement cru quand on se rend compte qu'il a paru pour la première fois en 1908. Plus moderne, Jour de traite d'Alpha Lëer imagine avec une féroce truculence un futur proche où les humains mâles sont réduits à l'état de bétail et exploités pour leur semence.
Philippe Caza (qui est aussi l'auteur de la jolie couverture) et Olivier May relatent des histoires similaires dans Mauve à pois verts et Homoplasie respectivement, celles d'hommes qui découvrent les joies du sexe extraterrestre, avec dans les deux cas des conséquences aussi inattendues que fondamentales. La première traite le sujet sur un ton burlesque, la seconde est plus douce et poétique, les deux sont très réussies. L'humour est encore au rendez-vous dans Rexie chérie de ïan Larue, histoire d'amour contrariée entre une femme et une femelle tyrannosaure (mais si !) et dans Bistocchio ou l'imparfait, petit conte réjouissant de Francis Berthelot qui offre à Pinocchio un petit frère dont ce n'est pas le nez qui grandit démesurément…
Le reste du dossier propose des nouvelles au ton plus sérieux, comme le Journal d'une infection d'Enzo Daumier, lecture particulièrement lourde en ces temps de pandémie, qui imagine une épidémie extraordinaire sur fond d'homophobie tristement ordinaire. Agrume, de Eva D Serves, et Si seulement, de Ceryan Dau, sont plus allusives et poétiques dans leur traitement de l'altérité, sans forcément qu'elle soit sexuelle. Ces textes graves, un peu perdus au milieu de la gaudriole joyeuse du reste de la revue, m'ont moins convaincu, mais ils restent fort plaisants à lire.
On retrouvera ensuite les rubriques habituelles de Galaxies SF, à commencer par un article sur David Bowie de Jean-Guillaume Lanuque dont j'ai évidemment beaucoup apprécié la lecture. Jean-Michel Archaimbault nous présente un auteur oublié de la collection Fleuve Noir en la personne de Robert Clauzel, écrivain, cardiologue et musicien de jazz, rien que ça. Enfin, comme d'habitude, Pierre Stolze décortique divers recueils et novellas, la rédaction propose ses notes de lecture, et Fabrice Leduc et Jean-Pierre Andrevon reviennent sur l'actualité de la bande dessinée et du cinéma.