La mer a rejeté un pirate désespéré sur les rivages de Carcosa, la Cité d'Ailleurs. Guidé par l'aveugle Maar, il rencontre le Roi en jaune. Leur point commun ? Tous les deux ont aimé la même femme, tous les deux l'ont perdue. Ils concluent un marché qui pourra peut-être les sauver tous les deux. Encore faut-il que le pirate ait le courage de plonger au plus profond de son âme.
Ce court roman de Michael Roch se présente clairement comme une œuvre dérivée du Roi en jaune, le fameux recueil de nouvelles fantastiques de l'écrivain américain Robert W. Chambers qui a inspiré H.P. Lovecraft, entre autres. On y retrouve notamment le Roi titulaire, bien entendu, mais tous les lieux et personnages auxquels Chambers faisait allusion dans ces textes sont repris ici, de Carcosa aux Hyades en passant par Hastur et le lac de Hali, sans oublier Cassilda et Camilla. Avec ces repères, on pourrait s'attendre à un récit plein d'angoisse, parcouru d'une menace indicible sous-jacente, d'autant qu'il s'ouvre sur deux mots terribles, ceux qui faisaient basculer les personnages de Chambers dans la folie et le désespoir : « Acte Second »…
Sauf qu'en fait, cette mention est parfaitement gratuite, puisqu'on a évidemment affaire à un roman et pas du tout au second acte d'une pièce de théâtre. Et c'est loin d'être la seule reprise gratuite de l'univers de Chambers. Oui, en réalité, Le livre jaune a peu à voir avec Le roi en jaune, ne serait-ce que parce qu'il rompt la règle d'or de l'horreur à la Lovecraft, à savoir que ce qui n'est pas décrit est toujours plus terrible et marquant que ce qui l'est. Le Roi de Chambers était un être lointain et titanesque, peut-être un dieu, dont la nature restait aussi indistincte que l'étendue précise de ses pouvoirs ; les protagonistes n'avaient jamais affaire qu'à ses émissaires, mais c'était suffisant pour leur faire perdre l'espoir et la raison. Le Roi de Roch est un être faible et mélancolique, dévasté par la perte de la femme aimée, qui n'a plus rien d'effrayant. Je ne veux pas m'ériger en gardien du temple chambersien, mais à quoi bon invoquer une figure littéraire aussi mémorable si c'est pour la vider de toute sa substance ?
D'autant que l'objectif de Michael Roch n'est de toute évidence pas d'écrire un roman d'horreur. Il y a bien quelques passages qui fonctionnent assez bien dans une veine néo-lovecraftienne, mais l'effet horrifique est systématiquement anéanti par un excès de tournures chantournées (d'accord, Howie aussi aimait bien se regarder écrire, mais pas à ce point-là). Le parcours du protagoniste pourrait se résumer à une descente dans les tréfonds d'un univers qu'on devine au croisement de L'Enfer de Dante et des horreurs à tentacules du reclus de Providence, sans que le récit ne dépasse jamais la somme de ses influences.
Mais comme je disais, l'horreur n'est pas le cœur du Livre jaune. Non, le cœur du livre, c'est l'histoire d'amour entre le protagoniste et Ananova. La troisième des quatre parties lui est entièrement dédiée et la retrace de manière antichronologique, de leur séparation à leur première rencontre. C'est un récit incroyablement mélodramatique et mièvre, plein de grandes déclarations pompeuses du style « Aimer après l'amour, c'est se faire souffrance » ou bien « L'amour est une flamme dont l'étincelle, invisible, se déclenche avant que la tempête secoue notre corps ». Difficile pour moi de lire ces lignes sans un sourire narquois aux lèvres. La révélation sur l'identité du narrateur qui arrive sans crier gare à la moitié du livre ne m'a pas aidé à le prendre au sérieux ; je n'en dis pas plus, mais j'ai eu envie de jeter le livre par la fenêtre à ce moment-là.
J'ai sans doute trop mauvais fond pour que Le livre jaune soit davantage pour moi qu'une source de moquerie. Peut-être l'aurais-je davantage apprécié si j'étais plus fleur bleue ? Ou si je n'avais pas lu Dante, Chambers, Lovecraft et J.M. Barrie ?