Les Chroniques de l'Imaginaire

Un homme d'ombres (Les enquêtes de John Nyquist - 1) - Noon, Jeff

John Nyquist est détective privé. Il est de retour à Soliade pour une nouvelle enquête : un riche homme d'affaires lui a demandé de retrouver sa fille Eleanor, adolescente fugueuse. L'affaire n'a pas l'air bien compliquée, mais il ne faut pas se fier aux apparences, même à Soliade, la ville où il ne fait jamais nuit. Nyquist va se retrouver confronté au terrible tueur en série Vif-Argent, aux ténèbres de Nocturna et à l'effroyable entre-deux de Crépuscule. Ses démons vont refaire surface et la question se posera jusqu'au bout : va-t-il sauver Eleanor, ou bien la tuer ?

Un homme d'ombres, c'est une intrigue ordinaire dans un monde extraordinaire. Si la ville dans laquelle se déroule l'intrigue semble appartenir à notre monde (on y connaît Beethoven et le théâtre d'ombres javanais), les règles qui la régissent sont résolument fantastiques. À Soliade, il ne fait jamais nuit parce qu'elle est entièrement recouverte par un dôme composé d'un nombre incalculable d'ampoules, néons, lampes et autres sources de lumière allumées en permanence. À l'inverse, Nocturna est plongée dans une nuit perpétuelle, toutes les ampoules de son dôme étant grillées à l'exception de quelques-unes qui jouent le rôle d'étoiles. Ces deux cités jumelles sont séparées par la zone du Crépuscule, hantée par les morts et les paumés. Privés du cycle naturel des jours et des nuits, les habitants de ces deux cités jumelles ont réglé leurs horloges internes sur des chronologies artificielles qui prolifèrent à l'envi. Chaque corps de métier, chaque entreprise, chaque communauté possède sa propre chronologie et les habitants de Soliade passent avec adresse de l'une à l'autre, y compris celles qui ne sont pas tout à fait légales…

Jeff Noon plonge adroitement le lecteur dans cet univers à la fois familier et étrange. Le déroulement de l'enquête épouse à merveille les caractéristiques de chaque lieu, chacun correspondant à une partie du livre. L'atmosphère est frénétique et tendue à Soliade, plus calme et mélancolique à Nocturna et franchement angoissante à Crépuscule. L'intrigue colle de près aux canons du polar. Nyquist est l'archétype du héros solitaire et désabusé, souffrant d'un passé troublé et d'un sérieux problème d'alcool, qui se retrouve plongé malgré lui dans des intrigues qui le dépassent. En voulant sauver sa peau et celle de sa protégée, il va déterrer des vieux secrets que d'autres auraient voulu garder bien enfouis, quitte à causer la perte de toute la ville. C'est une trame très classique, mais elle fonctionne à merveille et offre au lecteur un ancrage rassurant, car les règles temporelles de Soliade ne sont pas forcément faciles à assimiler.

Un homme d'ombres est donc un chouette polar, de ceux qu'on a du mal à lâcher avant la dernière page, même si c'est surtout son cadre qui vaut le détour.