Les Chroniques de l'Imaginaire

L'Ecole des soignantes - Winckler, Martin

A l'Ecole des soignantes, créée en 2024, qui est rattachée au Centre Hospitalier Holistique de Tourmens, affectueusement surnommé le Chht!, on met les femmes en premier. Depuis toujours, et d'abord au niveau du langage. Quand Hannah Mitzvah y est accepté pour s'y former, il fait partie des rares hommes à se préparer à un parcours de formation qui fait la part belle à l'écoute non seulement des femmes, mais aussi des personnes soignées à l'hôpital, quels qu'en soient le genre, la pathologie, l'origine ou le parcours.

C'est avec regret que je dois classer ce roman en Science-Fiction, sous-genre "utopie". Avec regret, car un hôpital comme celui que décrit son auteur, honnêtement, j'en rêve ! Peut-être ce rêve m'appartient-il en exclusivité, mais, vraiment, n'avez-vous jamais, vous aussi, imaginé un médecin qui écouterait vos symptômes sans décréter que "c'est dans votre tête" ? N'avez-vous jamais fantasmé sur une offre de soins différente, plus empathique, moins hiérarchique, où le/la patient.e aurait sur son propre corps un pouvoir au moins égal à celui du médecin ? Dans ce récit, la toute-puissance de ce dernier tombe non seulement face aux patient.e.s (pardon, aux "soignées" !) mais aussi face à ces "inférieur.e.s" que sont les infirmiers ou infirmières, et les aides-soignant.e.s : les "officiantes" aussi touchent les corps, en prennent soin, les écoutent.C'est ce que décrit Martin Winckler dans ce roman.

On y retrouve certains personnages du Choeur des femmes, et surtout Jean Atwood. On remarquera en passant que l'auteur continue son jeu avec les prénoms, puisque si dans le roman précédent une femme portait un prénom a priori masculin, ici c'est l'inverse. Il y cite à maintes reprises La main gauche de la nuit, d'Ursula K. Le Guin, et son influence y est en effet présente, à plusieurs niveaux, à commencer par celui d'une relative indifférenciation sexuelle, dans ce roman pourtant situé en France dans les années 2040, mais d'où les cisgenres, comme d'ailleurs les hétéros, sont à peu près absent.e.s. On en retrouve aussi la plurivocalité, et surtout la façon dont la "maladie mentale" est vue de façon bien différente du regard stigmatisant et normatif que pose sur elle notre société actuelle.

Winckler met en scène dans ce roman les plus gros changements par rapport à notre pratique présente : ce qui concerne le soin des "folles", l'avortement - que chaque soignante du Chht! est tenue de savoir pratiquer - et la fin de vie. Il est évident que, dans notre réalité présente, c'est dans ces trois domaines que chacun.e est susceptible d'être dépossédé.e de son corps et de ses désirs, et en somme du pouvoir sur sa propre vie. L'auteur n'esquive pas les problèmes, et ne prétend pas que c'est simple, ni facile pour les soignantes, mais je conçois que certain.e.s lecteurs ou lectrices puissent en être dérangé.e.s.

Ce roman rappelle aussi l'importance fondamentale des histoires pour les êtres humains : raconter son histoire permet à la fois de s'en distancier, de se l'approprier, et de la partager. C'est cette dernière caractéristique qui est illustrée ici dans le site Le corps des femmes. C'est le partage des histoires qui crée une communauté, une civilisation, et au final une humanité.

Mis à part l'aspect d'anticipation utopique, les éléments science-fictifs sont peu nombreux, et plutôt bien gérés, alors même que tout.e lecteur ou lectrice du genre sait combien les jeux avec la linéarité du temps peuvent être piégeux ! L'équilibre entre roman et essai/manifeste est plutôt réussi, même si j'ai trouvé que les personnages, et leurs relations, sont assez peu différenciés : ce n'est clairement pas le souci majeur de l'auteur. Toutefois, l'histoire progresse à un bon pas, je ne m'y suis pas ennuyée une minute, si je n'ai pas eu de grosse surprise non plus.

En somme, il s'agit pour moi d'une lecture vraiment agréable, qui ne peut que passionner les fans de Winckler, et tou.te.s ceux et celles qui avaient aimé Le choeur des femmes. En plus, au format poche, il n'y a vraiment aucune raison de s'en priver !