Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Novelliste (Le Novelliste - 5)

Commençons d'emblée par ce qui fâche. Ce cinquième numéro du Novelliste, la revue « à la périodicité aléatoire » des éditions Flatland, poursuit la publication en feuilleton du roman de science-fiction Voyage en d'autres mondes, et sa lecture reste malheureusement toujours aussi désagréable. Ce récit de 1894 accuse sérieusement son âge dans le comportement de ses personnages, qui ne trouvent rien de mieux à faire une fois débarqués sur Jupiter que partir à la chasse au gros gibier. John Jacob Astor IV semble penser que des extraits d'encyclopédie peuvent tout à fait être placés dans la bouche de ses personnages sans que cela ait l'air le moins du monde incongru, et il semble également persuadé que noyer le lecteur sous une batterie de chiffres tous plus énormes les uns que les autres suffira à engendrer du suspense. Dans les deux cas, il se trompe lourdement.

Je ne peux que regretter qu'un nombre substantiel de pages soit réservé à ce roman, d'autant que le reste de la revue est d'une très grande qualité. Outre le pensum d'Astor, les textes anciens sont représentés par la nouvelle Nuit terrible d'Andréi Zarine, récit d'un voyage en mer qui vire au tragique avec un bel effort sur la psychologie des personnages, et surtout par Capitaine Mors, pirate des cieux, première des 165 aventures de ce héros de pulp allemand dont les aventures anonymes ont vu le jour juste avant la Première Guerre Mondiale. Accompagné d'un article présentant le héros et l'histoire de sa publication, ce récit est d'excellente facture, avec un dosage idéal d'action et d'introspection et un personnage principal attachant, sorte de capitaine Nemo en dirigeable prêt à tout pour faire triompher la justice. Ça donne envie d'en lire d'autres ! On pourrait aussi classer dans la catégorie des vieux textes Cinq semaines dans l'éther, un pastiche vernien rondement mené d'Alexis-Nicolas de la Vitche qui se présente comme un texte d'époque, mais ce nom n'est qu'un pseudonyme transparent de l'auteur bien contemporain Alex Nikolavitch.

Le reste du numéro se compose de huit nouvelles d'auteurs actuels, sans compter la rubrique « Comme une image ». Angélus, de Nina Allan, est une histoire d'amour perdu sur fond d'échecs (le jeu, pas les déboires), dans un futur aux accents russisants. L'influence de Vladimir Nabokov est évidente, comme l'autrice l'admet dans l'entretien publié après cette nouvelle. Les mondes slaves sont également à l'honneur dans la présentation des éditions Lingva, une petite structure qui propose des ouvrages rares ou inédits en français, belle initiative à encourager.

La science-fiction est au rendez-vous avec Exitus Mortalis d'Ethan Robinson, dont le personnage principal s'efforce d'échapper à son triste quotidien par tous les moyens. Racontée sous la forme d'un rapport officiel post mortem, c'est un texte percutant. Terre à terre, de Léa Fizzala, nous entraîne quant à elle dans un monde virtuel sur les traces d'un ado comme les autres. C'est un récit qui a le doigt sur le pouls des jeunes générations actuelles et sa lecture est franchement réjouissante. Un adolescent sert également de protagoniste au Jour du nuage de Didier Pemerle, texte court et cru. Dans la catégorie « osé », on trouvera aussi L'Affaire de l'Ange gardien de Sylvain-René de la Verdière, avec sa succube qui sème le chaos dans le port de Toulon. La porte, de Ketty Steward, est une brève nouvelle fantastique dans l'univers carcéral aussi concise qu'efficace. Enfin, Yves Letort et Pascal Malosse proposent tous les deux des souvenirs d'enfance, le premier dans un étrange marécage où sévit La Fièvre et le second dans un univers plus proche du nôtre dans la simplement nommée Souvenir d'enfance.

Malgré Astor, ce numéro 5 du Novelliste mérite un 5/5 pour moi. Les textes sont (presque tous) de qualité, la mise en page est claire, les illustrations attrayantes, c'est vraiment de la belle ouvrage.