Les Chroniques de l'Imaginaire

Le diseur de mots (La lyre et le glaive - 1) - Léourier, Christian

Le pont sur le Stor était vieux et fatigué, mais il avait survécu à nombre d'intempéries. C'est pourquoi, quand il est emporté par les flots déchaînés lors de la fonte des glaces au printemps, son gardien affirme son innocence et pointe du doigt Bouche d'Or, un diseur de mots : par sa parole efficace, celui-ci a jeté un mauvais sort sur le pont, c'est sûr.
Kelt (alias Bouche d'Or, chaque habitant du Solkstrand ayant un nom privé et un nom public) se défend d'avoir proféré une telle malédiction. Il a certes un don, mais il ne le contrôle pas vraiment. La Vérité s'empare parfois de sa bouche, et ce qu'il dit advient, c'est pourquoi il surveille prudemment toutes ses paroles et ne ment jamais, de peur que le monde se conforme à ses dires. 

Désirant se débarrasser de l'encombrant (surtout s'il est aussi puissant qu'il y paraît), le seigneur local, le hartl Skilf Oluf'ar, l'envoie enquêter dans la commanderie voisine sur l'émergence d'une nouvelle religion, mettant en avant un dieu Unique. Il sera assisté dans sa tâche par un homme-sanglier, le mercenaire Hoggni.

Dans le premier tome de ce qui sera un diptyque, Christian Léourier nous emmène dans un univers de fantasy sur le point de vaciller. On y adore un grand nombre de déités, sous la tutelle protectrice de l'Axe-Divin, un duo d'élus quasi-parfaits chargés de protéger l'Equilibre du monde. Le culte de l'Unique entend balayer toutes ces croyances au profit d'une seule divinité supposée être la somme de tous les autres. Si l'Inspiré qui est à l'origine de cette nouvelle religion monothéiste est convaincu, le seigneur qui lui prête main forte songe plus à la prédominance militaire que cela va lui apporter, tandis que les paysans sont convertis de force. Au final, on a l'impression que presque personne ne croit vraiment en ce nouveau dieu, c'est dommage. Kelt pour sa part croit à la magie, mais pas aux dieux.

La magie est discrète, mais bien présente. Il y a bien sûr les pouvoirs des différents diseurs de mots (certains sont guérisseurs, conteurs...) mais aussi des forces plus obscures comme ces créatures surnaturelles et malveillantes que Kelt est seul à voir. De plus, Kelt est bien placé pour accepter la réalité d'une contrée mythique oubliée de tous : il y a séjourné et y a été profondément changé. Il cherche d'ailleurs désespérément à en retrouver l'entrée, pour y retrouver la belle créature dont il est tombé amoureux.

Les personnages, principaux et secondaires, sont travaillés et nous entraînent sans coup férir à leur suite. On ressent leurs motivations diverses, forces ou faiblesses : désir de postérité, gloire, honneur mais aussi amour, jalousie, mélancolie... Kelt est un personnage particulièrement intriguant : il est doté de puissants pouvoirs, mais sceptique. La farouche Varka semble également plus qu'une simple errante.

Les péripéties sont nombreuses. Ce qui commence comme un roman d'aventure se termine en guerre stratégique. J'ai personnellement préféré la première partie, plus légère que les combats omniprésents et meurtriers de la seconde, tout en étant ponctuée de petits rebondissements, mais les deux restent intéressantes. La plume de l'auteur est travaillée mais reste fluide et agréable, et si j'ai parfois dû chercher un mot dans le dictionnaire cela se lit dans l'ensemble très plaisamment.

Nombre de mystères demeurent, et il faudra attendre la suite du diptyque pour - peut-être - tout comprendre. En attendant, voilà un joli roman de fantasy français, pour un bon moment de lecture.