John Belman vient de perdre son travail de secrétaire. Il décide qu'il est temps de quitter la ville de Bath et part à la campagne avec sa femme Clare et son fils Gideon. Destination : le village d'Ormeshadow. Plus précisément, ils se rendent à Ormesleep, ferme appartenant à la famille Belman depuis des temps immémoriaux et tenue d'une main de fer par le frère de John, Thomas. Ce dernier, paysan bourru et alcoolique, n'est pas ravi de voir rentrer au bercail l'esthète rêveur qu'est John, mais il est bien obligé de l'accueillir, puisque la ferme lui appartient pour moitié. Le petit Gideon se découvre également une tante, Maud, et des cousins, Samuel, Peter et la petite Charity.
Durant toute son enfance, Gideon va avoir du mal à se faire une place dans ce milieu complètement neuf, avec un oncle qui le méprise, des cousins qui le détestent et une mère de plus en plus distante. Heureusement, son père adoré est là pour le soutenir et lui raconter de belles histoires, comme la légende du dragon endormi sous la colline près d'Ormesleep. On dit qu'il fut jadis l'ami d'un membre de la famille Belman et qu'il veille jalousement sur un fabuleux trésor…
Ormeshadow est un court roman prenant place à l'époque victorienne et qui rappelle beaucoup les grands romanciers anglais du dix-neuvième siècle. Bien qu'elle soit située dans le sud-ouest de l'Angleterre, la ferme d'Ormesleep pourrait tout aussi bien se trouver dans les landes glacées du Yorkshire où prennent place les Hauts de Hurlevent. Ce n'est pas seulement pour les décors que je dis ça, mais bien pour les drames humains qui s'y déroulent. Les émotions des personnages sont brillamment dépeintes, et ce sont le plus souvent des émotions négatives. Le pauvre Gideon s'en prend plein la figure, au sens propre comme au figuré. Le livre est suffisamment bref pour que cette accumulation d'avanies ne devienne pas insupportable, même si certaines scènes sont très dures à lire.
La majeure partie du récit est résolument ancrée dans la réalité, une réalité bien terne et déplaisante. Seules les légendes racontées à Gideon par son père apportent un zeste de lumière dans ce tableau bien sombre, jusqu'à la toute fin où le fantastique fait une irruption aussi soudaine que radicale dans la médiocrité du petit monde d'Ormeshadow. C'est une conclusion étrange, à la fois très inattendue et très prévisible, mais qui apporte un souffle d'air frais bienvenu, sans pour autant être un happy ending intégral, loin de là.
À mi-chemin entre le conte et le roman de mœurs, Ormeshadow est une jolie petite histoire, bien servie par un style qui sait se faire aussi bien lyrique que brutalement sec en fonction des événements. Il plaira sans doute davantage aux admirateurs des Brontë qu'à ceux de G.R.R. Martin, mais ce n'est pas un reproche que je lui fais.