Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Héritiers - Clavel, Fabien

Blessé pour la première fois lors d'un duel au cours duquel il a tué son adversaire, le jeune Rafaël Acanthe n'est pas au bout de ses peines. En effet, à peine revenu chez son tuteur, Théodore de Wermeil, celui-ci lui apprend que les fées existent réellement, et que certaines créatures féeriques habitent dans le monde des hommes. D'ailleurs lui-même, comme le jeune Rafaël, fait partie de ces "Faux-Semblants", comme on les appelle. Bien sûr, les humains ne sont pas au courant, et la Loi de Silence interdit de les informer. Terrifié, Rafaël s'enfuit.

Au cours de son errance, il rencontre Béla Bagyadt, un vampyr timide, par ailleurs informateur du commissaire Ragon, qui lui offre toutefois de l'aider dans la découverte et l'apprentissage de sa nouvelle nature. Cette aide ne sera certes pas de trop, car le jour même la maison de M. de Wermeil est incendiée, et celui-ci, comme d'ailleurs Raphaël, est donné pour mort. Béla et Raphaël, poursuivis, se réfugient au château de Pierrefonds, grâce à une automobile puissante et rapide prêtée par un ami du jeune homme, et conduite par un fouinard recommandé par le docteur Pommardin, un ami de Béla.

Pendant ce temps, sur Avalon, Merlin s'inquiète de la dégradation de plus en plus rapide de l'île, dans ce qui semble être l'indifférence totale de la cour féerique.

Ce roman aux personnages nombreux permet au lecteur ou à la lectrice de suivre plusieurs fils d'intrigue. D'un côté, nous avons les aventures de Béla et Raphaël, bientôt rejoints par d'autres Faux-Semblants, qui doivent se défendre contre les Monarchomaques, d'abord, puis les Sicaires et enfin les nécromanciens. Sur ce front, l'action n'arrête à peu près jamais, et la synergie des personnages fonctionne bien, malgré la personnalité fortement antipathique de Raphaël, mais avec un vampyr timide très réjouissant à suivre et une espèce de génie de l'ingénierie et de la mécanique, notamment.

Par ailleurs, nous suivons l'enquête du commissaire Ragon sur le devenir de Raphaël et de son oncle, et on en apprend davantage sur la défunte épouse du policier et son décès prématuré. Enfin, on suit de loin en loin les (més)aventures de Kendall, l'envoyé de Merlin, qui cherche à rejoindre le groupe de Raphaël pour les protéger.

Les rêves ou visions dans le temps deviennent de plus en plus importants, et font apparaître peu à peu, de façon remarquable, la notion d'"Héritiers" : si l'on se demande longtemps la raison du titre donné au roman, cette notion devient de plus en plus prégnante, surtout dans le dernier tiers.

Mêlant habilement les codes du roman d'aventures, du steampunk, du roman arthurien et de la fantasy urbaine, entre autres, cette histoire se déroule dans le même univers que le jeu de rôle éponyme, et que le roman Feuillets de cuivre. L'aspect politique n'est pas oublié, puisqu'on retrouve chez les peuples féeriques les mêmes luttes sociales que celles qui agitaient la société française exclusivement humaine à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Par ailleurs, il serait difficile de ne pas rapprocher l'indifférence de la Monarchie face au délitement d'Avalon de celle qui prévaut à l'heure actuelle chez les gouvernants, notamment français, face au dérèglement climatique.

Pour autant, qui veut n'y lire qu'un roman d'aventures très réussi, avec des personnages féminins souvent ambivalents mais jamais faibles et un "héros" odieux n'en tirera pas moins de plaisir. Il n'est pas impératif d'avoir lu Feuillets de cuivre pour apprécier Les Héritiers, mais avoir en tête la révélation finale du précédent donnera une profondeur supplémentaire aux entretiens entre Pommardin et Ragon, notamment. Dans la grande tradition des feuilletonnistes, l'auteur nous laisse en plein suspense à la fin du roman, et je ne peux m'empêcher d'espérer qu'il y aura une suite, car j'ai trouvé tant les personnages que l'univers riches et pleins de promesses.