L'Espagne franquiste est bien loin de celle que l'on connaît aujourd'hui. Nous sommes à Madrid, en 1956, sous le régime de Franco, et au sein de la rédaction du petit journal "La Capitale". Emilio Sanz y est un vieux journaliste qui couvre la rubrique faits divers depuis des années. Et depuis des années, il lui est impossible d'écrire la vérité, sous peine de voir le journal interdit. Depuis des années, il lui est impossible de raconter les meurtres sordides, perpétrés sur des femmes, par ce qu'il faudrait bien appeler un tueur en série...
Mais les choses sont sur le point de changer, avec la venue du jeune Léon Lenoir, au sein de la rédaction. Le jeune journaliste, français, va couvrir également la rubrique faits divers, avec Emilio Sanz. Léon laisse sa mère en France, dans un hôpital psychiatrique, et il va vivre chez son oncle, un soldat franquiste, avec quatre de ses cousines, l'une d'entre elles, Paloma, manquant à l'appel depuis qu'elle a quitté le cocon familial pour vivre de son métier d'illustratrice, au grand désarroi de son père...
Bientôt, Sanz et Lenoir vont se retrouver à enquêter, à la place de la police, autour du cadavre d'une jeune femme qui a été retrouvé dans une rivière, en plein hiver... Il ne leur faut pas longtemps pour retrouver l'identité de la défunte, une certaine Rosa Saura, infirmière qui n'avait plus toute sa tête, et qui était amie avec une autre infirmière, Martina Lopez, une pauvre fille avec un bec-de-lièvre.
Les informateurs de Sanz font leur job, en dévoilant que toutes deux ont fait partie d'une promotion d'école d'infirmières de 1932, et qu'elles ont travaillé avec plusieurs médecins : deux neurologues spécialistes en psychiatrie, Vidal et Sarobe, sous les ordres du docteur Vallejo, toujours éminent aujourd'hui. Ces trois-là étaient souvent avec un gynécologue appelé Bastida, un coureur de jupons invétéré que les infirmières fuyaient comme la peste...
Aujourd'hui, Vidal a été arrêté et jeté en prison pour avoir soigné des miliciens, Sarobe a pu bien en profiter et ouvrir sa propre clinique psychiatrique, qui n'accueille que des femmes très riches, qui gardent leur anonymat en portant toutes le même masque durant leurs séjours à la clinique, et Bastida a ouvert sa propre maternité... Une visite de Sanz et Lenoir chez Sarobe va bientôt s'avérer très riche en enseignements : Sarobe a un fils, Luis, qui s'apprête à devenir lui-même psychiatre. Mais son père ne sait pas qu'il se rend aussi régulièrement à la maternité de Bastida, pour y aider des mères à accoucher... Une activité secrète, en somme, mais pour garder quel type de secret ?
Teresa Valero nous régale, à tous les niveaux, tant graphique que scénaristique, avec ce premier tome de Contrapaso, qui paraît chez Dupuis. L'auteure nous permet de nous rendre compte de ce qu'était l'Espagne sous Franco, en terme de liberté de la presse, mais aussi en terme de liberté des individus, qui avaient intérêt à cacher au maximum leurs différences.
On suit ce récit à travers le regard de deux journalistes, dont le Français Léon Lenoir, qui a tout de même passé une grande partie de son enfance et de son adolescence en Espagne, avant de revenir y travailler. Un prisme intéressant, qui nous permet à nous, lecteurs français, de nous approprier très facilement le personnage pour avoir son point de vue. Les rebondissements le concernant seront de la partie dans ce premier tome, sans vouloir trop en dévoiler ici.
L'enquête se poursuit, donc, entre journalistes, mais aussi avec l'aide de quelques informateurs, et aussi de quelques policiers. Sanz est un vieux briscard, dur au départ avec son nouveau collègue français, mais qui va s'ouvrir à lui peu à peu, au fil de ce tome. Les découvertes, compliquées au départ, vont en entraîner d'autres, au fil des pages, de plus en plus troublantes, de plus en plus incroyables, autour de ce qu'on peut bien appeler du trafic humain, entre la maternité et la clinique psychiatrique...
Les dessins de Teresa Valero fourmillent de détails et de précisions. Les décors sont soignés, certaines cases respirent les heures de travail, et les expressions figées sur les visages sont une franche réussite, achevant de rendre les personnages convaincants et crédibles. Les événements s'inscrivent aussi dans l'Histoire d'Espagne, avec une presse, et plus largement une population, totalement muselées...
Ce premier tome de Contrapaso est une franche réussite, et ce à tous les niveaux. A découvrir par les inconditionnels de polars, de thrillers, ou par les passionnés de l'histoire de ce pays, notamment la période franquiste.