Les Chroniques de l'Imaginaire

Cochrane vs Cthulhu (Lord Cochrane - 1) - Villarroel, Gilberto

Le capitaine Loïc Eonet, commandant du Fort Boyard, terminé après plusieurs années de travaux accélérés par l'incursion des Anglais, dirigés par Lord Cochrane, dans la rade des Basques en 1809, attend des savants envoyés par l'Empereur pour étudier des inscriptions énigmatiques découvertes dans l'ancien fort romain dont le Fort a pris la lointaine succession. Toutefois, un de ses canots revient après avoir fait prisonniers Lord Cochrane lui-même, accompagné de cinq marins. Malgré toute la méfiance du capitaine Eonet, son prisonnier va mériter le surnom de "Diable" que lui ont donné ses ennemis espagnols, et réussir à s'évader, non sans avoir délivré ses hommes.

Cette audacieuse tentative n'échouera qu'à cause de l'arrivée des savants attendus, accompagnés du commissaire Durand, l'adjoint du sinistre Fouché, et de douze grenadiers. Durand considère qu'Eonet a failli à son devoir, que sûrement Cochrane et ses hommes n'étaient là qu'en tant que têtes de pont et espions, et que le massacre des hommes du canot envoyé patrouiller dans la baie est dû aux Anglais. Lorsqu'une ombre est aperçue sur le quai d'embarquement du fort, il reste convaincu que c'est un tour de l'ennemi de longue date de la France, et envoie l'accueillir Eonet et Cochrane, bâillonnés, désarmés et des fers aux pieds et aux mains. Heureusement, tous les hommes du Fort ne partagent pas l'avis du commissaire, et l'un d'entre eux s'est débrouillé pour donner la clef de ses fers à Cochrane. Cela permettra à ce dernier de sauver la vie d'Eonet en même temps que la sienne, en abattant une espèce de monstre amphibie qui les attaquait tous deux.

Les deux hommes sont accueillis au Fort en héros après cela, et c'est Durand qui se retrouve en cellule, pendant que le docteur Mignot essaie d'autopsier le cadavre de la créature rapporté par les combattants. Malheureusement, le corps fond littéralement sous son scalpel, ne laissant aucune trace. Mais pendant ce temps, les frères Champollion ont découvert le nom de leur ennemi : Cthulhu. Face à cette terrible menace, le capitaine Eonet n'hésite pas à accepter l'offre de Lord Cochrane de préparer des armes expérimentales qu'il a inventées, afin de protéger la vie de tous les hommes sous ses ordres, et tant pis si Durand, qui ne songe d'ailleurs qu'à sauver sa propre peau, n'est pas content.

Ce roman plein de rebondissements se lit vite et avec un grand plaisir. Dans cette histoire alternative qui voit le Fort Boyard terminé en 1814, et Lord Cochrane ayant construit le premier bateau à vapeur dès 1815, l'apparition des monstres imaginés par Lovecraft est une idée aussi passionnante que celle des dragons en guise d'aviation dans la série Téméraire de Naomi Novik. Et en effet, il fallait bien un ennemi à cette mesure pour qu'un bonapartiste convaincu se fie au plus grand ennemi de l'Empereur, que celui-ci avait d'ailleurs surnommé Le Loup des mers.

L'action est incessante, les combats s'enchaînant sur fond de brouillard ou de tempête, la météo semblant sous l'emprise de Cthulhu. Le huis-clos angoissant d'un fort cerné par la mer et l'ennemi qui attaque par l'eau et par l'air met en relief des personnages bien individualisés : non seulement les deux commandants, mais aussi leurs seconds, et certains hommes, sous-officiers ou simples soldats. En somme, nous avons là un roman d'aventures haletant comme on les aime.

Les amateurs et amatrices de romans d'aventures maritimes, que ceux-ci soient signés Patrick O'Brian, C.S. Forester ou Alexander Kent, connaissent déjà les hauts faits de Cochrane, même s'ils n'en sont pas forcément conscients, car O'Brian a attribué à son personnage, Jack Aubrey, certains d'entre eux, Forester n'a pas manqué de doter son Horatio Hornblower de sa capacité d'envisager  au préalable tous les paramètres d'une action, cependant que Kent a fait réaliser d'autres exploits par son Bolitho, qui porte une autre des caractéristiques de l'Ecossais, son souci pour ses hommes. Les anglophones qui auraient eu la curiosité de lire une biographie du grand marin le retrouveront ici tel qu'en lui-même, à un moment dramatique de sa vie, chassé de la Royal Navy et en complète disgrâce. Pour les autres, je vous encourage vivement à lire la note historique que l'auteur consacre à son héros en fin d'ouvrage.

Pour moi, une très bonne découverte que cette histoire bien racontée, à la couverture adéquatement illustrée par Benjamin Carré, et j'attends avec impatience la parution en poche du tome suivant des aventures de Lord Cochrane.