Les Chroniques de l'Imaginaire

Black Boys (Airborne 44 - 9) - Jarbinet, Philippe

La date du 28 août 1944 est une date qui a marqué les Niçois, puisqu'elle correspond à la libération de la ville de Nice du joug allemand. La fête bat son plein, et c'est là qu'on fait la connaissance de Virgil Burdette, un soldat black, qui relit pour une énième fois une lettre reçue six ans plus tôt : la nouvelle compagne de son défunt père, Amandine, était alors sur le point de décéder, et elle révèle à Virgile qu'il a une demi-sœur appelée Edith.

Celle-ci a été confiée à Denise Grégoire, meilleure amie d'Amandine à l'époque, et vivant à Paris, à l'adresse indiquée dans la lettre en question... En outre, Alvin Burdette, père de Virgil, est lui aussi décédé, en 1934, après avoir quitté les Etats-Unis en 1926, pour vivre de sa musique, en France, notamment en travaillant et en enregistrant avec Joséphine Baker. Son corps repose dans un cimetière parisien, et n'attend plus que la visite de Virgil...

Mais à Nice, on a aussi des soldats américains très blancs, et pas totalement dénués du racisme ordinaire que l'on combat encore de nos jours. C'est ainsi que l'on fait la connaissance de Jared "Jay" Webb, un sudiste du 551ème Parachute Infantry Battalion, qui ne va pas supporter de voir une petite copine française partir dans les bras de Virgil. Une bagarre va suivre, qui va provoquer le départ prochain de Virgil dans le 333ème Field Artillery Batalion, qui combat à Brest. Il aura vite l'occasion d'aller visiter Paris avec des amis, et d'y rencontrer Edith et Denise, six ans après avoir reçu la lettre d'Amandine, tout en allant sur la tombe de son père, Alvin.

Et puis, suite à cette pause dans les combats, qui vaudra six jours de trou à Virgil et ses compagnons, c'est le départ pour Sissonne dans un premier temps, non loin du lieu où se trouve justement un certain Jay... Ce dernier, initialement du 551ème Parachute Infantry Battalion, est détaché dans les Ardennes pour superviser un nouveau régiment, le 106ème, dans l'unité 589ème FAB, en provenance des States. La bataille contre les hommes de Hürtgen s'annonce rude.

En chemin, Jay Webb rencontre Luther Yepsen. Il retrouve également Virgil, et se fait d'ailleurs démolir par lui, sous les yeux de Luther Yepsen. Dans cette nouvelle bagarre, Jay passe pour un sombre crétin, mais l'explication se trouve dans le drame qui a touché sa petite sœur Dottie, en 1934 ou 1935... Mais qu'importe les vécus et les croyances des uns et des autres : l'enfer des Ardennes approche, et ceux qu'on détestait pourraient bien devenir ceux qui vous sauveront la vie...

Avec ce neuvième tome de sa série Airborne 44, qui paraît chez Casterman, Philippe Jarbinet, l'auteur belge natif de Liège, à qui on doit déjà des séries comme Mémoires de cendres ou Sam Bracken, entame le cinquième cycle de cette série, composée de diptyques qui trouvent bien entendu des liens entre eux, tout en pouvant être lus relativement indépendamment les uns des autres.

Philippe Jarbinet nous régale, littéralement, et ce depuis le premier tome de cette série, avec des dessins magnifiques : la couleur directe est de mise, et les planches ne sont pas sans rappeler des séries comme Le Sursis ou Le Vol du corbeau, d'un certain Jean-Pierre Gibrat, le charme féminin en moins. Chaque case fourmille de détails, les recherches sur les uniformes ou le matériel utilisé (armement, véhicules divers...) se ressentent littéralement dans chacune des cases, et le tome est aussi l'occasion de se retrouver en été, à Nice, ou en plein hiver, dans les Ardennes, avec une froideur toute différente. Des ambiances totalement différentes, qui sont parfaitement maîtrisées et retranscrites par cet auteur, au niveau des couleurs et des décors.

Au niveau du récit, Philippe Jarbinet nous raconte, sur fond de racisme, l'histoire de Virgil Burdette, ce soldat black dont l'histoire familiale trouve sa source aux Etats-Unis, bien entendu, mais aussi en France, en mêlant le passé d'un père trop absent, légende du blues, qui a combattu en France durant la Première Guerre Mondiale, avant d'y revenir en 1926 pour vivre décemment de sa musique et d'une voix prodigieuse.

Les zooms concernant le passé de Jared "Jay" Webb sont également importants dans un récit où chaque flashback est complètement maîtrisé. Ce qui est arrivé laisse à réfléchir, sur ce racisme qui s'insinue partout, beaucoup trop rapidement, dans l'esprit des gens. La suite de l'histoire s'inscrit dans la bataille des Ardennes, et laisse là aussi à réfléchir, sur l'entraide entre des soldats plongés dans le même enfer. Philippe Jarbinet nous donne aussi à réfléchir sur les différences de traitement entre les soldats américains blancs et noirs, une fois ces derniers rentrés au pays... De quoi halluciner, là encore.

Ce neuvième tome de Airborne 44 est une totale réussite, un morceau de bravoure sur fond de traitement des différences. Les dessins et les couleurs y sont de toute beauté, et le récit, qui s'inscrit dans des événements réels, est parfaitement crédible et maîtrisé. Il est impensable de passer à côté d'une telle série, et vivement la suite et fin de ce cinquième diptyque de Airborne 44 !