Les Chroniques de l'Imaginaire

FéminiSpunk - Aventin, Christine

Découpé en six parties chacune consacrée à un aspect différent des aventures de Fifi Brindacier, ce document-manifeste met particulièrement en relief la façon dont la traduction française a édulcoré le texte d'origine. C'est particulièrement net quand on rappelle que la création, dans le texte d'origine, du mot "Spunk" disparaît de la version française, où il est remplacé par "warou".

Mais l'objectif principal du livre est d'examiner les positions et actions actuelles liées au féminisme sous l'angle de Fifi. Du coup, il n'y est pas question de "femme(s)", mais de "filles", puisque c'est ce dont il est question dans les histoires de Fifi. Cette position permet de se délester du poids de toutes les représentations mentales associées au mot "femme", que celles-ci soient celles du pouvoir ou des femmes elles-mêmes, ce qui revient au même quand l'objectif est d'en sortir.

Fifi "Longues-Chaussettes" (traduction littérale de son nom d'origine) est toujours en-dehors des cases qui essaient de la définir, à commencer par celle du genre. En effet, elle a des caractéristiques féminines, dans sa coiffure, ses vêtements, etc., mais cela ne l'empêche ni d'être costaude, ni de vivre sa vie en totale indépendance, selon ses propres règles. Ce sont les présupposés de genre contre lesquels elle semble immunisée, et il est hors de doute que cet exemple est à étudier avec attention, s'il est impossible à suivre par nature : le fait même de la considérer comme un "exemple à suivre" procède d'une position qui nous éloigne d'elle. Nous en éloigne aussi, évidemment, et a fortiori, toute récupération par le pouvoir blanc, mâle, hétéro, qui est faite de son image.

Relire Fifi donne des pistes pour communiquer avec celles et ceux qui ont des idées et des conduites différentes : il s'agit de les contaminer en douceur, sans imposer, ni renoncer à, quoi que ce soit, mais en ouvrant la possibilité, et en donnant le désir, d'une rencontre future. Christine Aventin montre dans un chapitre comment "le care, dont le potentiel subversif était de revendiquer la nécessité de prendre soin des besoins d'autrui en vue de permettre à chaque voix de se faire entendre, est devenu un outil de domination".

La dernière partie aborde le racisme du texte d'origine. L'autrice montre que ledit racisme est en fait constitutif de notre culture blanche occidentale, de façon involontaire - voire inconsciente - au mieux, et a en fait structuré également les luttes féministes. A l'heure où la création de groupes "non-mixtes" sur le plan de la couleur de peau fait débat, cette réflexion est spécialement d'actualité.

En somme, ce document relativement court est un pavé dense dans de multiples mares. Je l'ai trouvé assez difficile à lire étant donné le style d'écriture particulier, faisant intervenir non seulement des citations - ce à quoi on s'attendrait dans un essai ! - mais aussi les opinions de relectrices, ou des éléments semblant autobiographiques. Il n'empêche que pour qui s'intéresse au sujet du genre et/ou du queer, ou pour quelqu'un.e qui connaîtrait Fifi mieux que moi, c'est une lecture qui fait réfléchir, et qui est par moment totalement jouissive.