Un avion en pleine nuit, à son bord une vingtaine de parachutistes avec à leur tête un jeune lieutenant de vingt-six ans. Ces hommes s'apprêtent à sauter sur Dien Bien Phu alors que la bataille fait rage et que les Viet-minhs ont presque anéanti le camp retranché. Avant de sauter, le lieutenant laisse aller ses pensées et revient sur ce qui l'a poussé à monter dans cet avion alors que la situation est désespérée.
Jour après jour, il nous livre ses pensées au cœur de la bataille jusqu'au huitième jour. C'est un véritable retour sur soi, sur sa vie, qui nous fait comprendre petit à petit l'homme qu'il est devenu et le pourquoi de sa présence dans ce lieu où la mort guette à chaque instant.
Cette lecture a été une agréable découverte car je n'avais jusqu'à présent jamais lu un récit de guerre construit de cette façon. Les scènes de bataille sont très peu présentes et l'histoire se base plutôt sur les réflexions de ce soldat, sur sa vie d'avant et sa découverte de l'Indochine. Rarement dans mes précédentes lectures les pensées ont eu une place aussi importante et ce livre m'apporte en partie une réponse à une question que je me pose depuis longtemps : pourquoi des hommes, sachant qu'il n'y avait aucun espoir, ont quand même sauté dans la cuvette de Dien Bien Phu alors qu'ils savaient qu'ils avaient plus d'une chance sur deux de mourir ?
D'autant plus que parmi ces soldats, certains qui étaient à quelques jours de rentrer en France, d'autres qui n'avaient jamais sauté en parachute ou ne s'étaient même jamais battus (des secrétaires, des soldats de l'intendance) se sont portés volontaires pour un combat perdu d'avance.
La lecture fut aussi une belle surprise, car je m'attendais à un récit de combats et je fus d'abord déboussolé par cette approche plutôt réflexive, j'allais même abandonner la lecture par déception. Mais j'ai continué et j'ai été très vite captivé par la vie de cet homme, happé par son destin. Arnaud de La Grange, à travers les yeux de son héros, en profite pour nous ouvrir les yeux sur l'absurdité des raisons qui ont poussé des généraux à livrer bataille à cet endroit mais surtout sur cet acharnement à rester sur place sans considération de la vie de leurs hommes. On comprend mieux, aussi, la fascination exercée par l'Indochine sur les Français et pourquoi il était impossible pour la France de se maintenir là-bas.
L'auteur nous plonge au milieu des combats où chaque homme lutte pour sa survie alors qu'il voit disparaître petit à petit ses camarades. Chaque jour constitue un chapitre, et chaque jour nous en apprenons plus sur l'homme et sur cette guerre lointaine qui ne concernait que des soldats engagés (pas d'appelés contrairement à l'Algérie) et intéressait peu les Français de métropole. On ressent l'angoisse de ces hommes, leur désarroi et leur souffrance devant la situation désespérée, mais aussi leur force et l'on comprend leur détachement face à la mort omniprésente.
C'est un beau roman, triste et poignant mais avec quelques moments de solidarité qui redonnent espoir en l'humanité. On ne connaîtra jamais le nom du lieutenant, ce qui en fait un bel hommage à tous ces soldats anonymes morts au combat pour des raisons aberrantes.