Les Chroniques de l'Imaginaire

Il est juste que les forts soient frappés - Bérard, Thibault

Il est juste que les forts soient frappés. Cette phrase apparaît à Théo comme une fulgurance lorsque lui et sa compagne, Sarah, apprennent qu'elle a un cancer inopérable. C'est le 23 décembre, Sarah est enceinte de sept mois. Ils ont un enfant, Simon, adorable et en pleine forme. Ils font un métier qui leur plaît, ont des copains, leur famille. Ils ont tout pour être heureux alors plutôt que de frapper quelqu'un déjà à terre, le mauvais sort a préféré se jeter sur eux. Sur Sarah, plus précisément.

C'est ce que Sarah va nous raconter depuis sa nouvelle demeure, dans laquelle elle regarde ce qu'il passe maintenant qu'elle n'est plus là. Inutile de prolonger le mystère, sachez que Théo est Thibault Bérard et que ce qu'il livre ici, c'est le témoignage de ce qu'il a vécu avec sa compagne qu'il fait parler à la première personne. Une mise à distance bienvenue qui permet de détendre l'atmosphère. Car évidemment, entrer dans ce roman, c'est mettre les pieds dans un sujet extrêmement douloureux. Non, il n'est pas juste qu'une femme de trente-sept ans soit frappée d'un cancer sous le poumon, si gros qu'on ne peut pas l'opérer, qu'on ne lui donne aucune chance de guérison, alors qu'elle porte en elle une vie qui risque de ne jamais connaître sa maman. Il n'y a aucune justice là-dedans ; c'est une épreuve que Sarah et Théo vont affronter avec tout le courage qu'ils pourront trouver.

Mais avant cela, Sarah nous parle des débuts. De son look rebelle, du coup de foudre avec Théo, de leur vie insouciante sans enfant, de leur vie de parents comblés. Des jours heureux, tout simplement. Puis le drame qui leur tombe dessus. Cette partie est très émouvante et parfois éprouvante. Le combat mené à l'hôpital est long et acharné. Il y aura des hauts et des bas, la plupart du temps vécus depuis une chambre d'hôpital aux côtés d'un docteur réaliste et bienveillant. Sarah raconte en ayant accès aux souvenirs de Théo, pour qui cette période est non seulement difficile car sa compagne est malade, mais parce qu'il doit tout assumer de son côté : rendre visite à Sarah, aller voir leur fille en couveuse, s'occuper de Simon, travailler. A la fatigue morale s'ajoute la fatigue physique, qu'il n'a pas d'autre possibilité que d'endurer, avec des ressources qu'il va puiser au fin fond de ses espoirs et de sa hargne.

On pourrait être tenté d'éviter ce livre, de peur d'être submergé par les émotions. Et on ne peut pas nier qu'elles sont au rendez-vous, qu'il faut les encaisser et continuer de tourner les pages. Mais ce n'est pas un roman comme les autres, c'est l'histoire de Thibault Bérard, qu'il a eu le courage de coucher sur papier, de nous livrer, avec une honnêteté touchante et courageuse. Car loin d'arborer la parure du super héros, Théo montre ses faiblesses. La force d'un homme se mesure par ses faiblesses, lui aurait dit le docteur. Il y a du vrai. Les faiblesses de Théo, que sont le découragement, l'envie de vivre et d'aimer de nouveau, démontrent par contraste ce qu'il a su endurer pendant la maladie de la femme qu'il aimait. Son honnêteté est d'autant plus louable qu'il ne cache pas les moments de transition avec sa nouvelle vie, celle d'après Sarah, alors qu'elle était encore en vie.

A travers ce récit, Thibault Bérard rend un bel hommage à celle qu'il appelle Sarah, à sa force et à sa joie de vivre, à son amour pour sa famille qui n'a pas suffi à la sauver. C'est ce qui est beau dans ce roman : il est lumineux, drôle, poétique, empreint d'une certaine légèreté qui permet d'atténuer les souvenirs les plus difficiles, sans jamais les dissimuler. Il faut saluer ce travail de l'auteur, rendre compte d'une réalité dramatique sans verser dans le larmoyant. La joie, les rires et l'humour ne sont jamais loin, d'une manière ou d'une autre. C'est ce qui rend ce livre si touchant.