Les Chroniques de l'Imaginaire

Golden State - Winters, Ben H.

Dans le Golden State, M. Ratesic est un membre respecté des Spéculateurs. Dans ce monde où la vérité doit toujours triompher, il est capable de physiquement sentir lorsque quelqu’un ment et ce, même à distance. Il est plutôt bon dans son métier, même s’il vit dans l’ombre de la réputation héroïque de son frère aîné, Charlie, décédé dans l’exercice de ses fonctions. Adepte de la solitude, le voilà bousculé par l’arrivée d’une nouvelle recrue, dont on lui confie bien sûr la formation. Aysa, la jeune femme, aurait un talent inné presque égal à celui de Charlie. C’est donc à contre-cœur que Ratesic accepte de l’accompagner pour sa première mission, l’enquête sur un accident banal en apparence. Toutefois, l’accident n’est pas si banal que cela et va bientôt pousser Ratesic à s’intéresser d’un peu plus près au concept même de vérité.

Golden State est donc une enquête « policière » dans un univers SF inquiétant, où la vérité est au cœur de la société et où tout écart est sévèrement sanctionné. Impossible de mentir, même pour protéger quelqu’un. Impossible également de lire des œuvres de fiction ou de rêver, car il s’agit là d’interprétations de la réalité, de mensonges en quelque sorte. Pour se distraire, les habitants s’abreuvent de téléréalité, et encore, il s’agit des prises de vues des caméras situées dans la rue. D’ailleurs, les capteurs d’images et de son sont partout. Comme le plaisir de la lecture de Golden State réside pour partie dans la découverte du fonctionnement de cet État et de ses implications très concrètes sur la vie des gens, je ne vous en révèle pas plus. Si ce n’est pour dire que le caractère inflexible de cette machine fait tôt pencher le roman vers la dystopie. Pourtant, le roman surfe habilement sur la vague car on n’est pas non plus dans une caricature de roman totalitaire. On voit comment cette société a pu se bâtir autour d’une idéologie qu’elle pensait juste, comment elle peut fonctionner… mais également tous les travers. 

Si l’essentiel du roman est narré à la première personne par Ratesic lui-même, de brefs passages sont écrits à la troisième et offrent une mise en abîme : on lirait en réalité un roman écrit par un habitant du Golden State. Cela donne un début assez déroutant. Heureusement, on est bien vite pris dans l’enquête mais surtout dans l’histoire personnelle du personnage principal. Ce « spéculateur », pour ne pas dire détective, solitaire, bourru, fraîchement divorcé et droit dans ses bottes, parlera à tous les amateurs de polar. On peut dire que c’est un cliché du genre mais pourquoi se priver d’une recette qui marche ? C’est un plaisir de redécouvrir ce genre de personnages et de se plonger dans un polar dans un univers totalement alternatif.

La couverture de Diego Tripodi met en outre très bien dans l’ambiance du roman : ses couleurs et ses lignes hiératiques ne sont pas sans rappeler l’art soviétique – et donc une idéologie totalitaire. Sa composition rappelle également certaines affiches du Troisième Homme, le film de Carol Reed de 1949 où Orson Welles enquête justement sur un meurtre dans une ville de Vienne détruite, à la poésie torturée. Peut-être n'était-ce pas voulu, toujours est-il que cette couverture est très évocatrice.

En résumé, Golden State est une petite pépite mêlant enquête policière, réflexion philosophique et post-apo et se nourrit d’influences multiples et illustres.