Les Chroniques de l'Imaginaire

Blues pour Irontown - Varley, John

Christopher Bach est un anachronisme ambulant. Bien qu'il vive sur la Lune, dans une colonie humaine à la technologie exceptionnellement avancée, il a choisi de mener la vie d'un détective privé de film noir, avec imperméable, bouteilles de bourbon et bureau miteux dont le calendrier mural est résolument figé en 1939.

Ce n'est pas une simple lubie de sa part. Depuis la Grande Panne, un cataclysme qui a failli entraîner la perte de toute la colonie lunaire, Bach ne va pas fort. Jouer au privé, c'est un moyen comme un autre pour l'ex-flic désabusé qu'il est de passer le temps. Heureusement qu'il a Sherlock, son fidèle compagnon canin. Ce chien à l'intelligence artificiellement développée lui sert à la fois de partenaire d'affaires et de meilleur ami.

Comme tout bon film noir, cette histoire commence quand une superbe femme fatale entre dans le bureau de Bach avec un problème à résoudre. L'enquête qu'elle souhaite confier à l'agence Sherlock & Bach n'a rien d'ordinaire et va conduire les deux compères jusqu'à Irontown, le coin le plus miteux de Luna, où vont se perdre les paumés, les junkies et les criminels les plus endurcis. Ce qu'ils y découvriront va bouleverser leur petite vie bien tranquille…

Blues pour Irontown se situe à l'exacte intersection de la science-fiction et du roman noir, mais avec une bonne dose de recul et d'ironie. John Varley s'amuse beaucoup à décrire les tribulations d'un aficionado futur de Raymond Chandler, avec juste ce qu'il faut de clins d'œil et de références pour que ce soit amusant mais pas lourd. Bach est un protagoniste attachant qui garde suffisamment de recul sur sa propre situation pour ne jamais sombrer dans la parodie, et son passé trouble, qui est l'objet d'un long flash-back au milieu du livre, lui apporte la gravitas nécessaire pour qu'on prenne au sérieux ce qui lui arrive.

Le gros point fort du livre, cependant, ce sont les chapitres racontés du point de vue de Sherlock. Grâce à ses implants cybernétiques, ce dernier peut en effet communiquer avec les humains et il sait se faire comprendre suffisamment bien pour combler les trous du récit de son maître. Sa nature canine fait qu'il s'attache davantage aux odeurs et qu'il a beaucoup plus de mal à rester concentré sur le fil de son récit, ce qui offre pas mal de moments tout à fait gouleyants où sa traductrice s'efforce tant bien que mal de mettre de l'ordre dans ses propos désordonnés. Son amitié avec Bach constitue évidemment l'un des fils rouges du roman et elle est très joliment mise en scène.

L'intrigue se déroule dans l'univers des Huit Mondes, développé par Varley dans trois romans avant celui-ci : Le Canal Ophite, Gens de la Lune et Le Système Valentine. Dans cette version du futur, une race extraterrestre inconnue a éradiqué toute présence humaine sur Terre, contraignant hommes et femmes à se réfugier sur la Lune, Mars et les autres planètes non gazeuses et satellites du système solaire. Il n'est absolument pas nécessaire d'avoir lu les autres livres pour se plonger dans celui-ci : les références à l'Histoire avec un grand H sont suffisamment claires pour comprendre la situation géopolitique d'ensemble et n'ont qu'une influence limitée sur le déroulement des événements décrits.

Blues pour Irontown est une parfaite lecture estivale. C'est un roman frais et léger qui se lit très vite et qu'on referme avec le sourire.