Fin du XVIIIe siècle, Villiers-sur-Sarthe. Adeline Larue grandit dans un petit village provincial. Sa vie est toute tracée : un mariage, des enfants et ne jamais quitter son lieu de naissance. Pourtant, depuis son plus jeune âge, celle que son père surnomme Addie aspire à autre chose. Elle aime se rendre au marché du Mans, dessiner des oiseaux ou passer du temps avec Estelle, une femme âgée vivant en ermite. Estelle lui enseigne d’ailleurs des rituels pour communiquer avec les anciens dieux et voir certains souhaits exaucés. Grâce à ces dieux, Addie peut repousser plusieurs demandes en mariage jusqu’au moment fatidique où ses prières ne sont plus entendues. Désespérée, Addie enfreint alors une règle cruciale : elle prie les dieux la nuit. La réponse qu’elle obtient chamboule sa vie. Elle pourra vivre libre à condition d’être oubliée de tous.
2014, New York. Addie a traversé les siècles et a bien changé depuis qu’elle a conclu un marché avec Luc, l’un des anciens dieux. Depuis trois siècles, elle teste les limites de ce qui est à la fois une malédiction et une bénédiction pour elle. Sa rencontre avec Henry, jeune libraire perdu dans sa vie, va lui offrir l’occasion de se remémorer ses aventures et de trouver une manière inédite de défier Luc.
Commençons par le principal : La vie invisible d'Addie Larue est un excellent roman Young Adult et j’ai eu du mal à le lâcher avant de l’avoir fini. On alterne entre les aventures passées et présentes d’Addie, entre l’Europe et l’Amérique, entre une jeune fille désorientée et une femme de trois siècles qui s’affirme. La dimension fantastique du récit emprunte aux contes de fées mais aussi à la fantaisie urbaine moderne. Elle fait le grand écart entre plusieurs siècles, comme son héroïne. Un pacte conclu avec un dieu païen, créature d’ombre née dans la noirceur des bois, une quasi-incivilité qui fonctionne comme un super-pouvoir, le tout est intéressant à défaut d’être totalement innovant.
Au-delà de l’aspect fantastique de l’intrigue, ce roman est une histoire d’émancipation féminine à mesure qu’Addie apprend à aller à la conquête de ses rêves et à trouver comment s’affranchir des limites imposées par son marché surnaturel. C’est aussi plus généralement un ouvrage qui invite gentiment à s’interroger sur le sens qu’on souhaite donner à sa vie. Cet élément, loin d’être martelé à longueur de page, est finement amené à travers les aventures des protagonistes et rend la fin du récit particulièrement savoureuse.
Ce qui fait la force de ce récit, ce sont également les histoires de rencontres qui peuplent l’ouvrage. Addie s’acharne parfois à revenir des mois durant dans un bar pour chaque fois refaire la connaissance d’une personne qui l’aura oubliée le lendemain. Cette quête de relation humaine, vitale pour tout individu, est rendue presque viscérale dans ce récit. Deux relations se distinguent bien sûr dans l’ouvrage, celle avec Luc, houleuse, sarcastique et sensuelle, et celle avec Henry, tendre, sincère et désespérée. Les deux apportent davantage de profondeur au récit.
La capacité d’Addie à s’émerveiller encore du monde après plusieurs siècles d’existence apporte une touche de positivité au récit, qui contraste agréablement avec les aventures les plus sombres de la jeune femme.
Du côté des points négatifs, j’ai un peu déploré qu’Addie base surtout sa survie sur la séduction et sur son corps. On comprend que son sort ne lui laisse que peu de marges de manœuvre et qu’elle soit aussi à la recherche d’une connexion humaine, même éphémère, mais je pense que son intelligence et sa débrouillardise sont telles que l’auteure aurait pu sans peine couper quelques scènes de charme.
J’ai aussi regretté que l’ouvrage ne comporte que peu de descriptions. Pour m’être rendue sur la High Line à New York en 2014, quand elle était encore relativement épargnée par les promoteurs, je sais à quel point elle était grandiose, cette ligne de chemin de fer reconvertie en promenade et s’élançant au-dessus de Manhattan, avec ses vues sur les gratte-ciels, les bars rooftop, ses œuvres ou performances artistiques… Les héros s’y rendent et l’ambiance est bien rendue mais Victoria E. Schwab n’évoque pas la beauté de l’endroit, les passages arborés, les rails qui s’échappent de la ligne principale pour soudainement plonger dans un building. Bref, on est baigné dans une atmosphère new-yorkaise sans voir New York. Idem pour les autres villes décrites : Le Mans, Paris, Londres et d’autres encore. Toutes ces villes, à des époques différentes, auraient mérité des descriptions plus nourries à mon sens. Cette relative absence de description est monnaie courante dans le genre Young Adult. Sans ce type de descriptions, le livre est déjà un de mes coups de cœur de l’année mais avec, il aurait été grandiose.
Pour résumer, lecteurs de fantastique et amoureux des pactes à double tranchant : jetez-vous sur La vie invisible d'Addie Larue. Je vous recommande chaudement l’ouvrage dans sa forme physique car il est magnifique : la couverture est ainsi construite que le visage d’Addie apparaît flouté avec le rabat et ne se révèle pleinement qu’une fois celui-ci ôté.