Gare de Thyanne en Haute-Savoie. Priam Monet, deux mètres et presque cent-cinquante kilos, descend du train en provenance de Paris. Il est d'une humeur exécrable, comme toujours, car on l'a envoyé inspecter un poste de la police des frontières au fin fond d'une vallée perdue proche de la frontière italienne. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça ne lui plaît pas du tout et il le montre bien aux policiers locaux. Lui, le flic expérimenté, le vrai citadin parisien qui n'aime pas la montagne, la verdure, la neige et les efforts physiques, on l'envoie dans ce trou perdu au milieu de ces culs-terreux ! Priam n'aime personne et en retour personne ne l'aime. Au fil de l'intrigue, on comprend que c'est un purgatoire suite à ce qu'il s'est passé lorsqu'il était à la brigade criminelle.
Priam n'a qu'une envie : accomplir le plus rapidement cette pénible mission et prendre la tangente au plus vite. Sauf qu'un corps est découvert au pied d'une falaise au milieu d'un bois, probablement un migrant qui a passé la frontière clandestinement. Mais on demande quand même son avis au flic parisien habitué de ces affaires criminelles. Et là, les vieux réflexes d'enquêteur reprennent le dessus ; en dépit de son horreur de ce coin des Alpes, Priam en voyant la scène de crime et le cadavre a vite compris que ce n'était pas un accident et qu'il allait devoir rester un peu plus pour élucider cette affaire.
Au cours de cette enquête, sa misanthropie va s'en donner à cœur joie au milieu des montagnards bourrus et des habitants de cette vallée désindustrialisée, qui dépend d'un riche industriel régnant sur ce petit monde comme un vieux despote d'une époque révolue.
L'intérêt principal de ce polar, en dehors de l'enquête bien ficelée, c'est son personnage central atypique : Priam Monet. Un être de prime abord détestable, qui méprise tous ceux qui ne sont pas comme lui, qui dit tout ce qu'il pense sans aucune considération pour les autres. Priam me fait penser à Ignatius dans La conjuration des imbéciles (roman de John Kennedy Toole), même morgue et même physique sauf qu'il est plus attachant que ce dernier. En dépit de tous ses défauts, notre héros est plutôt touchant et l'on devine des fêlures dans cette carapace qu'il s'est construite pour affronter le regard des autres. Sa pugnacité, son érudition et son humour noir le rendent d'autant plus attrayant. C'est assez amusant de le voir débouler dans cette vallée au milieu de ses habitants comme un chien dans un jeu de quilles, lui qui n'a aucune considération pour ses semblables et encore moins pour ceux qui osent vivre dans ce trou perdu.
L'atmosphère des lieux est bien rendue, on sent bien que Laurent Guillaume a été policier dans la région. J'ai apprécié cette confrontation entre deux mondes, celui de Paris et celui de ces provinciaux d'une vallée en souffrance économiquement ancrés dans une réalité bien terrienne. La caricature est évitée et l'on se rend compte que si l'on gratte un peu, ces soi-disant culs-terreux peuvent cacher des histoires intéressantes.
Les dialogues entre Priam et les autres personnages sont souvent drôles, le langage utilisé et les réflexions manquant de tact rendent ces échanges délectables. On attend avec le sourire aux lèvres la prochaine saillie de ce colosse mal embouché qui cherche à éviter toute relation humaine amicale. L'intrigue nous emmène là où on ne s'y attend pas, on y croise de beaux salopards et quelques personnages secondaires plutôt sympathiques au destin étonnant. Comme quoi, même les endroits les plus sauvages et bucoliques et semblant paisibles peuvent donner lieu à une intrigue policière où se côtoient la mort, le glauque et les âmes sombres.
Après la découverte de ce personnage de Priam, je n'attends qu'une chose, lire une autre de ses aventures.