Les Chroniques de l'Imaginaire

Les bras de Morphée - Bécu, Yann

Prague, 2070.

Pascal Frimousse est prof de littérature. Il vit avec Aurélia, une Quatre-heures. Il a la chance, lui, d'être un Douze-heures. Cela signifie que le virus Morpheus, qui a touché toute la planète en 2030, le fait dormir seulement douze heures par jour, de 21h à 9h exactement. Aurélia, elle, dort pendant vingt heures. Sa plage d'éveil est de 5h30 à 9h30. Frimousse et elle n'ont donc en commun qu'une petite demi-heure tous les matins, de 9h à 9h30. A 9h30, Aurélia s'endort brutalement, quel que soit l'endroit où elle se trouve. Frimousse l'installe correctement pour sa longue nuit et entame sa journée.

Il donne ses cours par visio, prend le temps de lire un bon roman (dans son intégralité, s'il réussit à en trouver, sinon il lit les résumés de romans), puis de temps en temps il accomplit une mission de troll. Comme il a la chance d'être éveillé bien plus longtemps que la plupart des Marmottes - la plupart sont des Quatre-heures, mais il y a aussi des personnes qui ne sont éveillées que quelques minutes dans leur journée, comme par exemple un homme d’Église qui est un Trois-minutes, trois minutes pendant lesquelles il mange avidement et fait un prêche qui remporte un énorme succès - ; étant donc un Douze-heures, Frimousse reçoit régulièrement des commandes de trollage.

Cela consiste à pourrir la période éveillée d'une personne, en lui faisant perdre son temps si précieux, pour satisfaire le désir de vengeance d'un commanditaire. Tous les jours aussi, il va boire un verre dans la taverne au doux nom du Dormeur du Val, propriété de son ami Michel, un bienheureux Vingt-heures. Tous deux se voient bientôt confier une mission dangereuse qui dépasse largement le simple trollage. Ils doivent retrouver un homme qui aurait trouvé un remède contre le virus Morpheus.

Ce roman est vraiment atypique. Le contexte, tout d'abord, avec ces gens qui ont dû s'adapter à des périodes de veille très courtes, à des horaires d'endormissement imposés. Tout se fait plus vite. Aurélia ne parle plus qu'avec des phrases courtes, sans verbe, sans adjectif. Il faut éviter de perdre son temps.Il faut profiter au maximum de sa période de veille. Toute la société s'est adaptée tant bien que mal.

Il y a eu d'énormes régressions dans tous les domaines : culturellement, puisque presque plus personne n'a le temps de lire un roman entier, il faut les résumer en quelques lignes. Plus de films non plus, qui a le temps de perdre deux heures devant un écran ? Même Internet n'est plus aussi performant qu'avant. Les réseaux sociaux n'existent plus, plus personne n'a le temps d'y perdre son temps.

Le seul site largement utilisé par tous est wekeep-edia, qui recense toutes les informations nécessaires, sur tous les sujets possibles, en quelques lignes, voire quelques mots, et que des personnes comme Frimousse alimentent régulièrement pour aider leurs prochains.

L'écriture du roman est rythmée, très agréable, très souvent drôle. Le meilleur morceau de ce roman est l'extrait de wekeep-Culture mis en annexe. Les informations, qui couvrent de très nombreux sujets, sont à mourir de rire ! Certaines infos sont justes, sans aucune invention, mais d'autres sont vraiment remarquables ! Pour n'en citer que deux exemples : les chevaliers de la Table Ronde étaient, entre autres, Léodagan, Perceval, Lancelot, Kévin et Jean-Louis. "Tweet : poésie lyrique, inspirée du haïku nippon, 140 signes, odes à la nature et aux chants d'oiseaux".

Mais on ne peut lire et apprécier cette annexe que si on a lu le roman, pour bien comprendre pourquoi les informations sont arrivées si déformées en 2070. Pour faire un coup de cœur de ce roman, il manque un petit je-ne-sais-quoi, peut-être un meilleur scénario dans la mission qu'ont à mener Frimousse et son ami. Mais c'est un roman vraiment hors du commun, à lire absolument ! C'est une belle allégorie sur la perte de temps, sur les dangers d'internet, sur la bêtise humaine en général.

Une jolie pépite à découvrir ! Un auteur à suivre...