Les Chroniques de l'Imaginaire

Âme brisée - Mizubayashi, Akira

Rei n'est encore qu'un enfant lorsque son père est emmené par des soldats japonais sous ses yeux. Il y a quelques minutes, il était assis sur un banc, à lire en l'écoutant jouer le quatuor à cordes Rosamunde de Schubert aux côtés de trois autres musiciens. Ces trois amis sont des étudiants chinois, une particularité dangereuse en 1938 alors que le Japon est allié à l'Allemagne et voit des ennemis communistes partout. Les soldats qui débarquent n'y entendent rien en musique et se bornent à voir un groupe réuni dans un endroit désert, les rideaux tirés. Par chance, Yu a eu le temps de pousser son fils dans l'armoire, à l'abri des regards.

Un regard parviendra pourtant à se planter dans le sien : celui d'un lieutenant mélomane, atterré par le traitement qu'ont subi Yu et ses amis. Un homme qui n'a visiblement pas sa place dans l'armée mais est contraint de se faire violence. Il a vu Rei et ne dira rien.

Des années plus tard, nous retrouvons Rei en France. Recueilli par Philippe, un ami français de Yu, il a grandi dans ce pays lointain et laissé le Japon derrière lui. Seuls lui restent le livre qu'il lisait passionnément le jour fatidique et le précieux violon de son père détruit sous ses yeux. Il s'est juré de le restaurer à la perfection et c'est à cela qu'il a consacré sa vie, suivant une formation poussée de luthier et étant maintenant reconnu dans la profession.

Puis un jour, il apprend qu'une jeune violoniste japonaise a remporté un prix et qu'elle honore la mémoire de son grand-père, celui qui lui a donné le goût de la musique classique. Il espérait qu'elle deviendrait violoniste et son vœu a été plus qu'exaucé. L'intuition de la compagne de Rei la pousse à inciter le luthier à contacter la musicienne : et si son grand-père était l'homme qui ne l'a pas dénoncé ?

Servi par une langue magnifique, Âme brisée est une histoire émouvante autour de la reconstruction de soi par la métaphore du violon (l'âme étant une pièce maîtresse de l'instrument). Rei a consacré son existence à faire ressusciter la mémoire de son père en redonnant une voix à son précieux violon. C'est aussi ce qui a permis à Midori de perpétuer la mémoire de son grand-père, fervent mélomane qui a vu ses jeunes années sacrifiées au nom d'une cause qui le rebutait. Ces deux destins si éloignés se retrouvent autour de ce qu'il y a de plus universel au monde et qui fait tomber toutes les barrières pour tisser un lien de fraternité : la musique.

La musique qui a évidemment la part belle dans ce roman et qui donne envie aussitôt la dernière page tournée d'écouter les morceaux les plus présents dans cette histoire. Une musicalité qu'on retrouve jusque dans l'écriture, délicatement rythmée et épurée.

Lorsque tout s'accorde aussi justement, le fond, la forme et le mouvement, on ne peut que remercier l'auteur pour cette parenthèse de douceur et d'émotions. De quoi donner envie de découvrir ses autres œuvres.