Les étoiles fascinent Kaeda. Certes, il est rivé sur son monde, Umbai-V, mais sa liaison intermittente avec Nia Imani, capitaine du cargo qui fait la navette entre Dumbai-V et la station Pélican, lui en apporte comme un écho. Un jour, sa vie tranquille est bouleversée par l'arrivé d'un garçon nu, à bord d'une navette fracassée. Il accueille l'enfant chez lui, lui permet de jouer de la flûte que Nia lui avait donnée à leur première rencontre, et de l'emporter avec lui quand il le confie à Nia à son passage suivant.
Fumiko Nakajima est une scientifique hors-pair, qui a créé les stations spatiales ayant permis la véritable expansion d'une partie de l'humanité dans les étoiles, mille ans plus tôt, au moment où la Terre, rétrécie par la montée des eaux, devenait inhabitable. Même si elle passe la plus grande partie de son temps en cryostase, elle n'a pas renoncé à ses rêves de jeunesse, et elle a fait de son mieux pour garder secrets certains de ses projets. Le plus secret d'entre eux est le déplacement instantané dans l'espace : elle en a entendu parler, mais n'est pas sûre qu'il ne s'agit pas d'une légende. Jusqu'au jour où elle entend parler du garçon.
L'un des aspects des romans de space-opera en général, et de celui-ci en particulier, en-dehors des différents décors planétaires, et de cet espace de transit qu'est la Poche, est, paradoxalement, le huis-clos, cet enfermement d'un petit nombre d'humains au sein des vaisseaux qui se traînent pendant des semaines sur des distances inconcevables. C'est ici particulièrement bien traité, avec les différentes réactions de l'équipage du Debby à cet irritant qu'est la musique incessante du garçon. De façon plus globale, les personnages sont l'un des points forts les plus éminents de ce roman, ce qui n'est pas une mince réussite si l'on réalise que l'un d'entre eux est muet pendant une bonne partie de l'histoire. Tous ont une personnalité identifiable, une cohérence interne, et sont crédibles.
Un autre point fort, bien sûr, est l'omniprésence de la musique : ce roman est l'un de ceux, pas si fréquents, qui m'auront donné à entendre la validité du nom "space opera", car chaque personnage a sa grande scène et ses airs récurrents, cependant que le décor de base a son leitmotiv, sous la forme de la "chanson du retour", qui joue un rôle central dans l'histoire. En ce sens, je comprends le choix du titre français, qui pourtant déplace le projecteur principal d'un personnage important à un autre. Un léger bémol pour moi est le mystère qui reste quant aux Vaisseaux Silence, dont j'ignore toujours l'histoire à la fin du roman. Bien sûr, on pourrait dire que cela correspond à leur nom même, d'une certaine façon.
Le style est plaisant, soutenu sans être difficile à lire, le rythme est lent, voire contemplatif. Les amateurs d'action pourraient être frustrés par cette histoire, mais les personnes à la recherche d'une lecture originale, qui aborde par la bande le problème de l'exploitation d'êtres humains, liront certainement avec plaisir ce remarquable premier roman. Pour ma part, je m'intéresserai certainement aux prochaines publications de cet auteur prometteur.