Ce numéro de la revue est particulièrement bien équilibré entre fictions, article de fond et critiques. Si l'éditorial de Pascal Raud mentionne la notion de cycle temporel, qui certes sous-tend ce numéro de la revue, j'ai été pour ma part sensible à un thème qui m'a paru commun notamment aux nouvelles, celui de la solitude et de la définition de soi. Ce sont, donc, les Fictions qui ouvrent le bal, et ce volet comporte les finalistes du concours d'écriture sur place du congrès Boréal.
Le Théorème des quatre douleurs, de Josée Bérubé, dépeint une physicienne n'ayant plus rien publié depuis dix ans, et que ses collègues pensent finie, alors qu'elle n'a jamais cessé ses recherches, et qu'elle est prête à expérimenter, sans vraiment se soucier de l'effet que cela aura sur le nécessaire témoin. Le volet ouvre en fanfare avec cette nouvelle à la progression et aux changement de niveaux de langue bien maîtrisés, sans parler de personnages intéressants et crédibles malgré le format court.
Le Vieil Homme et le trou noir, de Hugues Morin : la proximité d'un trou noir fait de drôles de choses à un individu, à supposer que ce soit ce terme qui convienne... J'avoue avoir eu du mal avec cette nouvelle, malgré ses éminentes qualités d'écriture, la chute m'ayant laissée perplexe. Je ne suis pas pour autant étonnée qu'elle ait gagné le concours d'écriture sur place du congrès Boréal pour la catégorie auteurs professionnels.
L'Offrande sur la pierre tombale, de Martine Bourque, a gagné le concours d'écriture sur place du congrès Boréal pour la catégorie auteurs de la relève, et elle est en effet fort bien écrite dans le genre horrifique, dépeignant en détails une romance qui perdure au-delà du tombeau.
Ulann, d'Andréa Renaud-Simard : dans cette sorte d'entre-deux d'après-vie où les Utes sont dans une sorte de coma, les Azanis s'occupent de leur corps, pour que leur esprit soit en Ulann. Marik toutefois ne se satisfait pas de cette vie de service. La richesse de l'univers évoqué malgré le format court est remarquable.
La Femme, le pilote, le corbeau, de Dean Whitlock (traduite de l'anglais par Pierre-Alexandre Sicart) : Dicey et lui sont séparés depuis dix ans, mais c'est lui qu'elle a chargé de disperser ses cendres en montagne. J'ai beaucoup aimé cette nouvelle originale, à peine teintée d'imaginaire, à la fin ouverte, et dont les personnages m'ont paru infiniment crédibles et intéressants.
L'Archiviste, d'Isabelle Piette : c'est comme ça qu'il se définit : celui qui absorbe la vie de ceux qui viennent de mourir. Mais tout le monde a un temps limité d'existence. Lui aussi. Une autre nouvelle que j'ai énormément aimée, originale, bien écrite, et qui m'a évoqué, de loin, le thème de American Gods de Gaiman.
Le Passager éternel, de Jean Carlo Lavoie : et s'il existait un artefact à remonter le Temps ? Ou à le descendre, tout aussi bien. C'est ce qui est proposé à Arthur Grimshaw par un mystérieux compagnon de route lors d'un voyage en train. Cette nouvelle est un mariage réussi entre histoire de voyage temporel et mythe du Juif Errant, très sympathique à lire.
D'une certaine façon, la dernière nouvelle est une introduction parfaite aux Carnets du Futurible, puisque Mario Tessier consacre son article au Mouvement perpétuel, en science et en fiction. En effet, l'idée du mouvement perpétuel a clairement à voir avec l'éternité, vue comme le refus de la finitude de toute chose vivante. Bien sûr, Mario Tessier creuse son sujet en nous présentant l'historique de l'idée même et des tentatives de mise en pratique, de l'Antiquité à nos jours. J'ai pour ma part été stupéfaite de découvrir que des brevets étaient encore déposés pour des mécanismes à mouvement perpétuel ! A lire pour tous ceux que le sujet intéresse, et pour tous les autres qui s'instruiront agréablement.
Les ouvrages, tant publiés outre-Atlantique que sur nos rivages, mentionnés dans la partie consacrée aux critiques, sont assez variés pour que chacun.e y trouve son bonheur. Pour ma part, je dois dire que je suis intriguée par l'Histoire de la Science Fiction publiée sous forme de BD par Critic et Les Humanoïdes Associés, mais aussi par Tout est ori, de Paul Serge Forest, que j'ai malheureusement moins de chances de trouver facilement en librairie.