Au début de la pièce, dans la dernière décennie du XIXe siècle, la jeune Rosita est dans tout l'éclat de ses vingt ans, et de son bonheur, du fait qu'elle est fiancée à son cousin, qu'elle aime de tout son coeur. Mais des raisons familiales impératives obligent le jeune homme à partir jusqu'au fin fond de l'Argentine. Les fiancés s'écriront, et de toute façon la séparation doit être courte. Rosita attendra ses lettres au milieu des roses que cultive son oncle, à commencer par la rarissime "rose changeante", dont la couleur évolue tout au long de sa seule journée de floraison.
A la fin de la pièce, vingt ans ont passé, le gentil fiancé en a épousé une autre, plus proche, et plus riche, l'oncle amoureux des roses est mort après avoir dilapidé les ressources familiales, et Rosita, seule à présent avec sa tante veuve et la vieille domestique, ne voit plus que la solitude et la mort dans son avenir.
Comme toujours chez Lorca, tout signifie : les fleurs ont un langage, c'est d'ailleurs le sous-titre de la pièce, mais les costumes et les éléments du décor parlent aussi en marquant le passage du temps. Les personnages vont souvent par trois : c'est le cas des Manolas et des vieilles filles, ces dernières accompagnées de leur mère en une image inversée de Rosita entourée de ses oncle, tante et nourrice. Cela crée un effet de tresse et d'écho où la parole s'éclate, et peut soit se renforcer, soit se diluer.
Loin des ravages passionnels de Noces de sang, voire de La maison de Bernarda Alba, l'atmosphère est ici douce-amère, et le drame est intérieur. Dernière pièce représentée du vivant de son auteur, elle reprend sur un mode mineur, tout en mélancolie, le thème de la vie gâchée sans amour ni descendance. Par ailleurs, contrairement aux oeuvres précédentes, Doña Rosita est une pièce citadine, qui met en scène la bourgeoisie grenadine, que l'auteur connaissait bien, avec ses ridicules et ses drames dissimulés.
L'appareil critique de cette édition est riche et complet, comportant une préface, des notes, une biographie de l'auteur, et une histoire des représentations de l'oeuvre en Espagne et dans le monde. En somme, une publication nécessaire et passionnante d'une oeuvre trop peu connue du grand artiste espagnol, parfaitement mise en valeur ici par l'éditeur.