Quel est le point commun entre le théoricien situationniste français Guy Debord, le scandaleux chanteur punk des Sex Pistols Johnny Rotten et le révolutionnaire Jean de Leyde, fondateur d'une république anabaptiste à Münster au seizième siècle ? Si vous n'en voyez aucun, ce n'est pas le cas de Greil Marcus. Lui trace dans ce livre une ligne qui relie tous ces individus et bien d'autres dans une vaste « histoire secrète », une alternative aux événements qu'on enseigne dans les salles de classe : celle des dadaïstes, des lettristes, des situationnistes et, pour finir, des punks.
Bien qu'il se défende de vouloir écrire l'histoire de ces grands courants culturels, Marcus offre tout de même, au fil de ces six cents pages et quelques, un bon aperçu de leur création, de leur heure de gloire et de leur disparition, en s'attachant de près à leurs principaux acteurs et actrices et à quelques scènes-clefs. Il nous emmène ainsi dans une salle de concert enfiévrée où les Sex Pistols donnent leur ultime concert, au Cabaret Voltaire de Zürich où s'illustrent les premiers membres du mouvement dada ou encore à Notre-Dame de Paris en ce jour de 1950 où le lettriste Michel Mourre fait scandale en proclamant la mort de Dieu depuis la grande chaire.
Son propos n'est pas toujours aisé à suivre, et il s'enfonce régulièrement dans de longs excursus philosophico-historiques qui ne semblent mener nulle part, mais quoi que l'on pense de la manière dont Marcus défend sa thèse centrale (et même, quoi que l'on pense de cette thèse), c'est tout de même un livre remarquablement stimulant, qui dresse des comparaisons inattendues entre des objets pas forcément très connus, à moins d'avoir une connaissance proprement encyclopédique du courant punk ou des différentes avant-gardes du début et du milieu du vingtième siècle. L'index des œuvres citées qui conclut l'ouvrage est à ce titre particulièrement précieux pour qui souhaite approfondir ces différents domaines.
