Les Chroniques de l'Imaginaire

Une machine comme moi - McEwan, Ian

Charlie Friend est en veine. Ce boursicoteur à la petite semaine vient d'hériter d'une jolie somme, de quoi s'acheter un joli pied-à-terre à Londres. Pourtant, il décide de consacrer ce pécule à un achat inattendu : Adam, l'un des vingt-cinq androïdes qui viennent d'être mis sur le marché et dont on dit qu'ils imitent à la perfection l'intelligence humaine. Il décide également de laisser sa voisine, la séduisante et mystérieuse Miranda, programmer la moitié de la personnalité d'Adam. La voisine de Charlie devient bientôt sa petite amie, mais tout commence à dérailler lorsque l'androïde tombe à son tour amoureux de Miranda...

Drôle de livre que Une machine comme moi. S'il ne s'agissait pas d'un roman de Ian McEwan, il aurait été tout à fait à sa place dans la collection SF de Folio, car il s'inscrit clairement dans le domaine des littératures de l'imaginaire. Il s'y inscrit d'ailleurs de deux façons, car l'histoire d'Adam, cet androïde un peu trop parfait, a pour cadre un univers alternatif où l'Histoire avec un grand H a suivi un cours subtilement différent. Dans ces années 80 uchroniques, Alan Turing n'est pas mort prématurément (d'où les immenses progrès effectués dans le domaine de l'intelligence artificielle bien en avance sur nous), le Royaume-Uni a perdu la guerre des Malouines (ce qui fait dangereusement tanguer le gouvernement de Margaret Thatcher) et la France a élu Georges Marchais président (ce n'est qu'un détail évoqué en passant, mais qui m'a fait glousser). Ce cadre est l'objet de fréquents rappels dans le récit, mais il n'en constitue que l'arrière-plan et n'influence guère les événements de l'intrigue. S'il est amusant à lire pour quiconque connaît les grandes lignes de la scène politique britannique dans les années 1980, il pourra aussi apparaître comme une distraction gratuite, voire malvenue.

En effet, le cœur du récit, c'est bien cet étrange ménage à trois constitué par Charlie, Miranda et Adam. Le premier est singulièrement exaspérant, un trentenaire immature et un peu trop imbu de lui-même, dont les grandes ambitions n'ont d'égales que son incapacité à les assouvir. Néanmoins, même si le roman est entièrement rédigé de son point de vue, McEwan prend bien soin de ne jamais l'approuver ou l'excuser lorsqu'il se comporte de manière inexcusable. Si vous n'aimez pas les livres dont les protagonistes vous donnent des envies de meurtre, ça ne suffira peut-être pas à rendre Une machine comme moi tolérable, mais c'est tout de même un bon point. Face à lui, Miranda et son passé trouble servent de moteur à l'intrigue, bien davantage qu'Adam qui occupe souvent un rôle très effacé, y compris lorsqu'il n'est pas éteint par ses propriétaires (ce qui arrive assez fréquemment). Sa présence permet évidemment de soulever les éternels débats sur les machines pensantes, leurs capacités intellectuelles et émotionnelles, ce qui les rapproche et ce qui les différencie des humains « naturels », des sujets déjà abondamment traité depuis le début du dix-neuvième siècle par Mary Shelley et ses épigones.

En fin de compte, Une machine comme moi n'est pas tant un livre sur les robots que sur l'humanité. Même s'il n'apporte pas grand-chose de nouveau à la table, c'est une lecture distrayante, surtout si vous aimez les uchronies (et puis ça change de « et si les nazis avaient gagné la guerre ? »).