Les Chroniques de l'Imaginaire

Genre et sexe en SF (Galaxies SF - 72)

Voici la suite et la fin du dossier « Sexe et genre en SF » dont la première partie avait été l'objet du numéro 69 de Galaxies-SF. Cette deuxième partie, toujours organisée de main de maître par Lucie Chenu (je dirais bien « de main de maîtresse » pour être raccord avec le thème, mais les implications de ce mot sont un peu malheureuses), s'intéresse principalement aux questions de genre, au point que les deux axes du dossier auraient presque pu être décorrélés et constituer deux dossiers distincts. Les articles parlent donc beaucoup de femmes, avec un retour sur l'histoire des autrices de SF, des gros plans sur l'œuvre de certaines d'entre elles (Ursula K. Le Guin, Octavia E. Butler, Doris LessingJoëlle Wintrebert ou encore James Tiptree Jr.), ainsi que des articles de fond sur des questions telles que le traitement des personnages féminins, l'intersexualité ou le traitement du patriarcat et du matriarcat dans la SF. L'imposante bibliographie en fin de dossier satisfera les appétits du lectorat désireux d'approfondir l'un ou l'autre de ces sujets.

Les différentes nouvelles (huit dans la version papier, douze dans la version numérique) illustrent de manière variée ces questions de genre, en faisant la part belles aux autrices. Seuls deux hommes apparaissent dans le sommaire, et leurs textes sont les plus courts du magazine : Jean-Michel Calvez, qui s'intéresse à l'intersexualité dans Aux frontières de l'aube, et Hugo van Gaert, alias Pierre Gévart, qui a ressorti de ses archives une nouvelle à chute efficace de 1981 intitulée L'aréopage.

Campanule et Capucine, de Sara Doke, offre une relecture malicieuse des contes de fées de notre enfance où le prince charmant laisse place à une princesse non moins charmante. Dans Vertiges de l'amour, Joëlle Wintrebert inverse les rôles dans un couple où c'est l'homme qui veut un enfant et qui, grâce aux progrès de la médecine, est en mesure d'éprouver lui-même les joies et les peines de la grossesse et de l'accouchement. Michelle Laframboise imagine dans Comment éteindre le soleil la vie difficile sur une colonie martienne pour une petite fille qui se trouve avoir deux mamans et s'en retrouve ostracisée par ses camarades, car même dans le futur, les enfants sont cruels. L'intersexualité est au cœur d'Aux frontières de l'aube de Jean-Michel Calvez, un beau texte trop court pour en dire plus sans le divulgâcher.

L'Inde est à l'honneur dans deux nouvelles. La boutique de mariées sur mesure de Bhaisaab, de Shweta Taneja, pousse jusqu'au bout la logique des mariages arrangés en imaginant un magasin pour célibataires offrant des femmes sur mesure, belles, efficaces et surtout dociles. Rêve de sultane dépeint une utopie féministe imaginée par l'écrivaine bengalie du début du vingtième siècle Rokeya Sakhawat Hussain : les femmes ont pris le pouvoir et s'en sortent bien mieux que les hommes. À l'inverse, dans Les erreurs du passé, Adriana Lorusso imagine un matriarcat oppresseur qui ne fait que reproduire les comportements néfastes du patriarcat qu'il a remplacé.

Deux nouvelles au ton humoristique poursuivent le dossier : Le collier de boulons de Jeanne-A Debats et Un monde d'hommes de ïan Larue. Les deux relèvent de la science-fiction et imaginent des mondes où les conventions du genre sont bousculées sans pour autant que les protagonistes en tirent toute la satisfaction qu'elles pourraient. J'ai de loin préféré la deuxième, dont la gouaille m'a semblé moins forcée et le propos plus percutant. Un autre texte de ïan Larue suit, tout aussi gouleyant : Salut les primates !, dans lequel des archivistes du futur revient à notre époque pour étudier les étranges mœurs de l'espèce humaine. Le dossier s'achève sur une note plus mélancolique et intime avec Lune de mon cœur de Lucie Chenu, récit touchant d'une famille dysfonctionnelle où le fantastique ne s'invite que par petites touches.

Les rubriques habituelles complètent le sommaire de ce très bon numéro 72. Jean-Guillaume Lanuque propose un résumé de la carrière de Wendy Carlos, pionnière de la musique électronique et de la transition de genre, tandis que Didier Reboutin commence une rétrospective de celle de Georges-J Arnaud, prolifique écrivain de SF français. Pierre Stolze dissèque quelques nouvelles parutions venues du Japon avant les habituelles critiques de livres, revues, bandes dessinées et films de l'imaginaire.