Le père de Myriem est prêteur sur gages dans un petit bourg, mais il est bien trop gentil pour ce métier et ne se fait jamais rembourser, aussi la famille vit-elle dans la pauvreté. Avec les hivers de plus en plus longs et rigoureux des sept dernières années, leur vie est de plus en plus misérable. Quand sa mère tombe malade, c'en est trop pour Myriem, qui décide de prendre la situation en main. Froide et déterminée, elle redresse vite la barre et renfloue les finances familiales. Et si ses parents n'apprécient guère de voir une aussi jeune femme devoir être aussi dure pour survivre, elle-même juge fort satisfaisant de "pouvoir changer l'argent en or", selon ses propres termes.
Hélas, il n'est pas toujours bon de parler de ses dons à haute voix dans la forêt, surtout quand la route des humains passe à proximité de la route des Staryk. Ces êtres diaboliques viennent avec la neige et le blizzard, volant et tuant à leur guise. Bientôt, le roi des Staryk lui-même se présente à la porte de Myriem : si elle ne change pas son argent en or, elle mourra.
Wanda n'est guère mieux lotie, vivant dans un extrême dénuement. Elle trime laborieusement dans la ferme familiale pour éviter que son père, alcoolique et violent, ne la marie en échange d'une bouteille d'alcool. Elle fait de son mieux pour protéger également ses deux frères, mais ce n'est pas toujours facile. Quand Myriem impose qu'elle se mette à son service pour rembourser la dette familiale, elle est secrètement ravie d'échapper un temps à son père. Qu'importe qu'elle doive travailler pour des Juifs, méprisés par l'ensemble de la population, tant que cela améliore son quotidien ! Wanda se révèle rapidement une précieuse assistante pour Myriem.
De son côté, Irina a une vie plus facile, puisqu'elle est fille de duc, même si elle n'est guère considérée. Son père ne la tient pas en haute estime, car elle n'a ni beauté ni grâce, malgré la pointe de sang Staryk qui coule dans ses veines. Il semble impossible de lui trouver un bon parti, et certainement pas le tsar Minartius lui-même, dont la visite est annoncée pour bientôt. Irina ne peut que s'en réjouir, car elle connait la cruauté cachée du splendide jeune homme.
La fileuse d'argent est un magnifique conte dans lequel Naomi Novik nous plonge dans le folklore slave et la froide saison. L'hiver surnaturel qui se prolonge au delà des premiers mois de printemps n'y épargne personne, boïars comme paysans. Et si l'hiver inquiète, c'est aussi parce qu'il est indissociablement associé aux Staryk, des êtres mystérieux et cruels, à la peau et aux vêtures aussi blanches que la neige, montés sur des cerfs sanguinaires. Les Staryk usent de magie : ils savent tout ce qu'il se passe dans "leur" forêt, leur route de glace ne passe pas toujours au même endroit et ils peuvent congeler quelqu'un d'un simple toucher. Un homme prudent fera tout pour les éviter, s'il le peut. Myriem et les siens vont avoir affaire à eux plus qu'ils ne l'auraient souhaité.
Cette histoire fait la part belle aux personnages de femmes fortes, des femmes dont on attend qu'elle soient sages et soumises, mais qui ont courageusement décidé de prendre leur avenir en main. Le roman alterne les points de vue, en se concentrant sur Myriem, Wanda et Irina, mais aussi à quelques occasions sur d'autres personnages de leur entourage (Magra la gouvernante d'Irina, le tsar Minartius...). Comme la narration se fait à la première personne, la plume s'adapte aux connaissances et expériences de chacun : Myriem voit le regard des autres sur elle changer au fur et à mesure qu'elle s'affirme ; pour Wanda, les prières de bénédiction juives et les livres de compte sont déjà de la magie ; quant à son petit frère Stepon, toute nouveauté lui fait peur. L'identité du narrateur n'est jamais indiquée, mais elle est toujours immédiatement évidente en quelques phrases. C'est très vivant et les différents récits se complètent à merveille, abordant parfois le même épisode depuis deux points de vue différents pour mieux les intégrer dans la trame globale.
Le rythme s'accèlère une fois passés les premiers chapitres, ce n'est pas une succession de scènes d'action mais l'histoire est prenante et intense tout du long. Personnellement, j'ai adoré plonger dans cette ambiance rude et hivernale, teintée de magie, car l'atmosphère et les émotions sont très bien rendues. L'écriture est fluide et poétique, et tout à fait addictive. J'avais beaucoup aimé Déracinée, mais j'ai encore préféré ce roman-ci qui s'annonce comme un de mes gros coups de coeur de l'année. J'ai hâte de lire d'autres ouvrages de l'autrice, et je conseille celui-ci à tous ceux qui aiment la belle fantasy et les contes d'hiver !