Au soir de sa vie, l'empereur Hadrien se penche sur sa vie, et la raconte au bénéfice de son successeur, le futur Marc Aurèle. Il évoque son enfance libre en Andalousie, sa jeunesse à Rome et Athènes, et ses années d'apprentissage de la philosophie et de la politique, comme du métier des armes. C'est à l'armée qu'il deviendra proche du futur empereur Trajan, qui fera finalement de lui son successeur. Après les années "solaires" de ses débuts comme empereur, et sa rencontre avec le bel Antinous, qui deviendra son compagnon, on assiste aux années plus sombres, sur tous les plans, ayant suivi sa mort, quand l'empereur, se sachant malade, organise sa propre succession.
Le personnage d'Hadrien est au centre de l'histoire, qui est racontée de son point de vue. Du fait de son destinataire, ce qui commence comme une lettre est en fait une méditation sur la politique et le pouvoir. Cela apporte un niveau supplémentaire d'intérêt. Le monde que l'empereur dirigeait en partie est à la fois plus petit et plus grand que le nôtre : plus grand, à cause des distances entre les frontières romaines quand on doit les rejoindre à cheval ou à pied, et plus petit car bien sûr le lecteur moderne est conscient de l'existence d'autres continents totalement ignorés de Rome.
Il n'en reste pas moins que la réflexion sur l'usage du pouvoir que l'on détient devrait être au centre des préoccupations de tout personnage politique digne de son poste. La façon dont Hadrien traite ses opposants et ses ennemis, et dont il essaie avant tout d'établir la possibilité au moins d'une paix durable me semble inspirante. D'une façon générale, son souci constant pour un futur qu'il ne verra pas est à la fois bien loin de la situation actuelle, et une source possible d'inspiration. Cela seul justifierait la réédition de cette oeuvre, s'il y fallait un motif autre que celui de profiter de la langue superbe de richesse et de précision de Yourcenar.
Ce roman est l'une des oeuvres les plus connues de l'auteure, et la diction de Stéphane Varupenne, de la Comédie-Française, apporte une crédibilité supplémentaire à ce texte qui commence comme une lettre, et se présente tout au long comme une méditation à haute voix. En revanche, je n'ai pu m'empêcher de regretter l'absence dans cette version des "Carnets de notes" écrits par Yourcenar qui en complètent habituellement la version écrite, et qui détaillent la conception et l'écriture de l'oeuvre, étant donné que cette partie expose également la vision qu'avait l'autrice de son sujet.