Journaliste indépendant, Ben Matson vit sur une île d'Écosse avec sa femme et leurs deux enfants. Il mène une existence tranquille, mais son passé le tourmente. Le 11 septembre 2001, sa petite amie Lil est morte dans le Boeing 757 qui s'est écrasé sur le Pentagone et son corps n'a jamais été retrouvé. Matson n'a jamais réellement fait le deuil de Lil et il s'est convaincu, à la suite de diverses rencontres et d'intenses recherches sur Internet, que le vol 77 d'American Airlines ne s'est pas vraiment écrasé à Washington. Le souci, c'est que le reste du monde ne semble que trop heureux d'accepter la version officielle des faits, celle qui a débouché sur les interventions militaires américaines en Afghanistan, puis en Irak, avec leur cortège de morts, de blessés et autres conséquences désastreuses. Comment prouver ce dont il est intimement persuadé ? La réponse se trouve-t-elle dans les décombres d'un avion qu'on vient de retrouver au fond des eaux de l'Atlantique, vingt ans plus tard ?
Conséquences d'une disparition est un très bon livre, et c'est regrettable. D'un point de vue purement littéraire, c'est un thriller rondement mené que propose Christopher Priest, avec une atmosphère menaçante et parfois étouffante brillamment rendue. Il entrelace différentes périodes de la vie de Ben Matson, avant, pendant et après 2001, mais ces va-et-vient chronologiques ne sont jamais source de confusion, grâce à une intrigue relativement peu tortueuse et de nombreuses répétitions. L'évolution psychologique et émotionnelle de Ben Matson est dépeinte avec finesse et son obsession pour les théories du complot est très compréhensible.
C'est précisément là que le bât blesse. En effet, Matson est convaincu que la version officielle du 11 septembre est un mensonge. De larges pans du livre sont ainsi consacrés à l'exposé des raisons pour lesquelles les truthers (les gens qui comme lui remettent en cause le récit couramment accepté des faits) n'y croient pas. Certains sont des arguments techniques, fondés sur des notions d'architecture ou de physique ; d'autres pointent du doigt les contradictions et omissions des témoignages, comptes-rendus médiatiques et rapports officiels. Tout ceci est bel et bien bon, mais omet un élément significatif : tous ces arguments ont été démontés depuis des années par la presse, les scientifiques et plus généralement les gens qui savent vraiment de quoi ils parlent et ne se livrent pas au cherry-picking et à la déformation des faits. Mais de cela, vous ne saurez rien si vous vous contentez de lire Conséquences d'une disparition.
Évidemment, dans un roman, tout est possible, c'est le principe même de la fiction. Mais dans le cas présent, le mélange des genres entre vérité et fiction est particulièrement bourbeux, d'autant qu'il faut encore distinguer davantage les authentiques fictions (pour autant qu'un tel oxymore se comprenne) de celles sorties de l'imagination de Priest. Lorsqu'on traite d'un sujet aussi tragique et lourd de conséquences que le 11 septembre (des conséquences dont l'auteur est lui-même conscient et qu'il rappelle régulièrement au fil du récit), toute ambiguïté volontaire (et il ne fait pas de doute que ce livre est ambigu à dessein) est à mon sens condamnable.
Le malaise est encore plus fort après la lecture de la postface où Priest, clairement positionné à l'extérieur du monde fictionnel de son roman, s'adresse à son lectorat pour lui dire en substance : « bien sûr que non, je ne suis pas un de ces zinzins de complotistes, je ne suis pas mon personnage principal, ha ha, et au fait, je vous conseille d'aller lire ces sites complotistes, moi je trouve qu'ils posent plein de questions troublantes quand même ». En étant charitable, c'est au mieux incroyablement maladroit de la part d'un écrivain établi de se faire ainsi le relais d'idées complètement lunaires.
Je ne peux donc conseiller Conséquences d'une disparition qu'aux gens qui disposent d'un solide bagage de connaissances sur le 11 septembre et seront à même de trier le bon grain de l'ivraie. Les autres feraient mieux de se tourner vers un ouvrage de non-fiction que vers ce dangereux mélange de vrai et de faux, aussi efficace soit-il d'un point de vue strictement artistique.