Par-delà l'horizon est un recueil de dix-neuf nouvelles chapeauté par Sébastien Guillot. Il se propose d'offrir un panorama de l'état actuel de la science-fiction francophone, dans la lignée de deux anthologies précédemment dirigées par Serge Lehmann, à savoir Escales sur l'horizon (1999) et Retour sur l'horizon (2009). Parmi les dix-huit noms au sommaire de cet épais ouvrage, on trouvera aussi bien de nouvelles pousses que des vétérans confirmés, et autant de femmes que d'hommes, ce qui est toujours appréciable. La majeure partie adopte un regard plutôt pessimiste sur le monde et ce qu'il sera peut-être amené à devenir dans le futur, avec comme thèmes récurrents la place croissante des nouvelles technologies (réseaux sociaux, intelligences artificielles, drones…) et leur conséquences plus ou moins néfastes sur notre société, notre planète et notre humanité.
Après une brève introduction de Sébastien Guillot, le recueil s'ouvre avec La parfaite équation du bonheur d'Émilie Querbalec. Dans un futur proche, l'amour n'est plus un jeu de hasard grâce à Meetiel, une application de rencontre aux algorithmes surpuissants. Non content de déterminer le degré de compatibilité entre deux personnes, Meetiel est capable de les guider tout au long de leur vie de couple sans jamais faillir. La nouvelle est de facture classique et extrapole de manière fort crédible à partir de ce que les sites de rencontre sont déjà capables de faire, avec l'éternelle question du consentement et du respect de la vie privée. C'est une bonne entrée en matière pour l'anthologie, ni déroutante ni barbante.
Suit Deimocratos, de Stéphane Beauverger. Dans l'est de la Pologne, après une guerre dévastatrice, la vie continue tant bien que mal. Constamment drogués pour ne plus ressentir la moindre peur, les habitants de Bialowieza ne s'inquiètent pas outre mesure des événements étranges qui se produisent à l'orée de la forêt primordiale toute proche, Jadwiega la sculptrice pas davantage que les autres. Mais tout change quand son fils Lukasz disparaît dans les bois et qu'elle se lance à sa poursuite. Ce texte plein de tension joue adroitement de l'écho entre les sentiments étouffés des personnages et le caractère étouffant d'une forêt pleine de mystères, comme un véritable thriller miniature.
luvan a droit à deux participations : på ön et In der Höhle. Ce sont deux textes courts qui s'inscrivent dans le même univers de fiction et se font écho l'un l'autre, le premier s'attachant à une astronaute redescendue sur Terre qui peine à réintégrer la société des hommes, le second à une entité inhumaine tout juste sortie de son isolement souterrain. Les jeux sur la langue sont omniprésents, avec des poèmes en prose multilingues dans la première nouvelle et des phrases d'une longueur démesurée dans la seconde. Le ton d'ensemble est très allusif, mais c'est le genre de texte qu'on lira davantage pour en savourer la prose que pour suivre un récit bien carré et clair.
Dans Le Pack, L.L. Kloetzer proposent un monde en vase clos où les enfants servent de dernier rempart à la catastrophe ultime, tout en croyant n'être que les participants d'un jeu de rôle. Ce n'est pas la nouvelle la plus marquante du recueil, mais elle progresse à un rythme soutenu et ne dure pas davantage que nécessaire.
Espoir, de Silène Edgar, adopte un ton presque mythologique pour décrire la vie d'un couple d'enfants nés in vitro et éduqués par une intelligence artificielle sur une planète sauvage. On est à la fois très proches et très éloignés de ces deux enfants, derniers espoirs de l'humanité devenus démiurges malgré eux.
On retourne sur Terre, dans tous les sens du terme, avec Et le verbe se fit cher, où Pierre Bordage imagine un futur proche où l'emprise tentaculaire des grandes entreprises de l'informatique se fait telle qu'elles vont jusqu'à breveter les mots et imposer aux écrivaines et écrivains le paiement d'une redevance pour être autorisés à s'en servir. Du cynisme à revendre dans ce texte fort sardonique et peut-être un peu trop content de lui-même.
Lauriane Dufant opte étrangement pour une narration à la deuxième personne dans Carne, récit nébuleux des souffrances d'un esclave dans une société où végétal et animal ont opéré une sorte de fusion. C'est un très beau texte, dont l'élégance et la grâce ne ressortent que mieux de par sa situation dans le recueil.
En effet, la nouvelle suivante, Le juge, le bot et l'écureuil de Christian Léourier, nous ramène dans un futur proche et terre-à-terre dans lequel un magistrat se retrouve confronté à un homicide commis par un robot. Or, les robots sont censés être incapables de faire du mal à un être humain… Je n'ai pas trouvé que ce texte apportait grand chose à ce qu'un Asimov a pu écrire il y a plus d'un demi-siècle de cela, mais il se laisse lire et ne s'éternise pas.
Projet Cerebrus, de Floriane Soulas, aborde également la question de l'intelligence artificielle, mais de manière bien plus mémorable et touchante, avec la relation qui s'établit peu à peu entre une scientifique et son sujet d'expérience. La chute inattendue m'a pris de court, ce qui ne m'était pas arrivé depuis belle lurette ! Chapeau.
Comme d'autres participantes et participants, Romain Lucazeau tente un exercice de style avec Variation sur un poème de Borges, texte dont la concision n'a d'égale que le caractère amphigourique. Et tout cela pour une bête partie d'échecs… Les amateurs de ce jeu apprécieront peut-être, moi pas.
On revient sur du plus classique avec La solitude des fantômes d'Audrey Pleynet, un nouveau texte sur les dérives que sont susceptibles d'engendrer un jour les nouvelles technologies. Ici, c'est un futur dans lequel les gens font le choix de s'évader sur le réseau pour fuir les instants les plus mornes et ennuyeux de leurs vies. Inutile de préciser que tout n'est pas aussi simple qu'il y paraît, comme le découvre la vieille Évelyne lorsque sa petite-fille vient la tirer de sa maison de retraite pour partir à la recherche de sa mère disparue. Comme pour la première nouvelle du recueil, on a ici affaire à un récit solide et efficace.
Plus déroutant est L'heure où s'écrasent les zabèy de Michael Roch, texte teinté d'afrofuturisme dans lequel un père et son fils tentent d'échapper à des drones meurtriers devenus incontrôlables. C'est l'une des nouvelles que j'ai le moins apprécié, la faute à des choix stylistiques radicaux qui pourront peut-être en séduire d'autres.
Léo Henry propose, avec J'ai senti venir l'avalanche dès les premiers flocons, un récit très intimiste et mélancolique dont le protagoniste erre sur des fonds marins d'où toute eau a fui. La plume est belle, même si le texte m'a laissé froid (sans mauvais jeu de mot).
La dualité est au cœur de Quantique pour la liberté de Ketty Steward, où l'on suit deux femmes apparemment sans lien. L'une vient d'être renvoyée de son poste aux ressources humaines, l'autre est en passe de l'être pour avoir osé tomber enceinte à un moment qui n'arrangeait pas son employeur, ce qui n'augure rien de bon pour elles dans une société où l'emploi est devenu la valeur cardinale et où le chômage est, encore plus que de nos jours, une véritable disgrâce.
Jean-Laurent Del Soccoro nous offre quelque chose de plus léger avec Ne vous inquiétez pas, on va s'y mettre. Sur fond de blues, autour d'une relation père-fille très crédible, il croque à grands traits sur un ton rafraîchissant l'Amérique actuelle et imagine les réactions de ses habitants face à l'arrivée impromptue d'extraterrestres en qui certains ne voient rien d'autre que des migrants indésirables.
Avec Chéloïdes, Jeanne-A Debats propose un récit à mi-chemin entre l'épouvante, le fantastique et le thriller. Son protagoniste, un jeune psychiatre, se retrouve bombardé médecin d'une mystérieuse romancière dont la carrière s'est arrêtée net après qu'elle a subi d'affreuses mutilations aux mains d'un assaillant inconnu. Dans la catégorie « écrivain(e) qui parle d'écrivain(e) », cette nouvelle est bien plus efficace que celle de Pierre Bordage, avec une tension savamment distillée qui n'empêche pas les traits d'humour et une conclusion glaçante. Du grand art.
Golden Age Blues, de Frédéric Jaccaud, porte bien son titre. Cette belle histoire d'amitié baigne dans une ambiance rétro et nous plonge magnifiquement dans les années 1950, avec du fantastique présent seulement par petites touches subtiles. C'est un très beau texte où la frontière entre le rêve et la réalité n'est jamais clairement définie, à son avantage.
Dernière nouvelle du recueil, Ce qui se tapit dans la tour de Chris Vuklisevic s'interroge sur la nature de l'humanité à travers son personnage principal, Hannah, dont le cerveau a été modifié, comme celui de tous les autres êtres humains, pour en éradiquer toute émotion négative ; mais à quel prix ? Avec une telle conclusion, Par-delà l'horizon prend des accents franchement pessimistes.
Le recueil s'achève en fait sur une postface d'Ariel Kyrou qui se veut apparemment une sorte de commentaire de texte des nouvelles qui la précèdent. C'était à mon sens assez dispensable, même (et surtout) s'il saute sur l'occasion de placer une référence à son ABC Dick, dans l'espoir d'en écouler quelques exemplaires supplémentaires, qui sait ? Toujours est-il que cette quinzaine de pages aurait été mieux employée en accueillant une vingtième nouvelle, pour peu qu'elle ait été du même calibre que les dix-neuf autres, c'est-à-dire, de bonne, voire très bonne, sinon d'excellente qualité.