Derrière ce titre se cachent en fait deux histoires dans lesquelles Arsène Lupin, notre « voleur national », affronte la parodie du héro anglais de Sir Arthur Conan Doyle sous les traits d’Herlock Sholmès. Après une rencontre singulière, mais plutôt furtive, à l’issue du recueil précédent (Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur), Maurice Leblanc initie ici, en 1908, le premier « crossover » de personnages dans la littérature.
Ainsi, dans l’épisode intitulé La dame blonde, qui constitue un récit indépendant et peut se lire séparément, le détective Herlock Sholmès est appelé à la rescousse par les victimes elles-mêmes afin d’élucider une triple affaire de vols sur fond de meurtre ! Chose étonnante lorsque l’on sait qu’Arsène Lupin met un point d’honneur à n’assassiner personne. Pour une fois, serait-il hors de cause ? Trop de coïncidences suspectes aux yeux de l’inspecteur Ganimard qui continue de voir l’ombre de Lupin flotter partout, principalement dès lors qu’il se trouve acculé par des retournements de situation méticuleusement orchestrés. Décontenancé mais pourtant sûr de lui, c’est fou de rage et en proie au plus tragique désespoir qu’il doit accepter de s’en remettre au flair du redoutable Herlock Sholmès. Et il en sera de même pour le second récit, La lampe juive, où, victime du vol d’une lampe en cuivre contenant une chimère en or, le baron d’Imblevalle fait appel au célèbre détective.
Décrit comme un homme que l’on rencontre tous les jours, âgé d’une cinquantaine d’années, aux allures de brave bourgeois, rien ne semble distinguer Herlock Sholmès d’un quelconque citoyen londonien. Rien, si ce n’est « ses yeux terriblement aigus, vifs et pénétrants ». Un adversaire qui semble enfin à la hauteur d’Arsène Lupin même si ce dernier conserve une certaine longueur d’avance, et pour cause, il connaît les faits d’armes de son rival.
Face à la déduction clairvoyante et méthodique du détective anglais vient donc se dresser l’audace intuitive du gentleman-cambrioleur français. D’un côté, Lupin initie le problème pour en trouver la solution, tandis que de l’autre, Sholmès prend patiemment le temps d’observer les moindres détails. Point de magie, ni de miracle, le détective réfléchit, déduit, conclut mais ne se laisse jamais aller à de simples spéculations. Malheureusement pour lui, les indices ne sont jamais laissés au hasard et c’est Wilson, son compagnon d’infortune, qui en fera le plus souvent les frais. Toutefois, loin d’abandonner la partie, Herlock Sholmès ne lâchera aucune piste et surtout il ne reculera devant rien !
S’ensuit dès lors de magistrales courses-poursuites à travers les quartiers chics de Paris. Mais là encore, Lupin joue en terrain connu puisque de repérages en évasions, les immeubles parisiens n’ont guère de mystères pour lui. C’est l’éloge d’un Paris moderne où les ornements ne sont plus seulement décoratifs mais participent à l’intrigue. Les moulures servent à déclencher des mécanismes, les cheminées pivotent, les planchers se soulèvent et voilà Lupin qui se dérobe par des portes secrètes et des mansardes trafiquées.
Des péripéties rocambolesques, parfois un peu saugrenues mais toujours bon enfant ! Éternel espiègle, Lupin rit de bon cœur et s’amuse avec son rival comme un chat joue avec une souris. Quand il lui arrive de perdre, il accepte avec loyauté « la défaite comme un mal provisoire auquel il faut se résigner »… jusqu’au prochain tour ! Car évidemment, il ne perd jamais bien longtemps. Ce qui a le don d’agacer Herlock Sholmès qui ne tolère pas que pareilles gamineries puissent lui « infliger une petite leçon ». Surtout quand il reste persuadé d’avoir le dernier mot !
Parodique mais point moqueur, ce livre nous plonge avec délectation dans des énigmes soutenues qui nécessitent parfois une lecture assidue et intensive pour ne pas perdre le fil. En s’inspirant de l’actualité qui l’entoure, Maurice Leblanc réussit à embarquer ses personnages dans des aventures qui sonnent plus vraies que natures. L’ambiance est bel et bien au rendez-vous, notamment par le biais des adresses, référencées en fin de livre, qui nous permettent mentalement de dessiner une carte des lieux pour mieux nous les représenter et nous les approprier. Régulièrement actualisées, sous différents formats (série, film, manga, etc.), les aventures d’Arsène Lupin demeurent ainsi dans la mémoire collective. Et tout porte à croire que notre éternel fugitif a encore de beaux jours devant lui !