Les Chroniques de l'Imaginaire

Ce que l'on sème - Porter, Regina

Tout commence en 1946, avec le patriarche Jimmy Vincent. Il est au sommet de la pyramide des âges de sa branche, dont les ramifications vont s'étendre à travers les générations pour s'entortiller autour de la branche des Christie. Deux familles qui vont se croiser au fil des ans, parfois de loin, parfois jusqu'au mariage. Les membres nous seront présentés comme des instantanés, des moments et périodes à transposer sur le tableau familial, jetant un éclairage nouveau ou simplement différent selon la personne qui le raconte. Toujours est-il que le cœur du roman sera le couple Rufus - Agnès, le fils blanc de Jimmy et son épouse noire.

Le récit qui se développe autour d'eux, en amont et en aval du temps, permettra d'aborder quelques uns des grands thèmes de l'histoire américaine du XXe siècle : le racisme, la réussite personnelle, la libération sexuelle, la guerre du Vietnam...

Ce premier roman de Regina Porter est impressionnant tant il est foisonnant. La liste des personnages en début d'ouvrage est loin d'être superflue et le lecteur désireux de comprendre l'enjeu de l'histoire ne pourra pas faire l'impasse. Les va-et-vient dans les époques et lieux, concernant tour à tour des protagonistes différents, obligent à s'y référer constamment. Si le procédé est intéressant, on perd parfois le plaisir de la lecture qui tourne à la contrainte de la compréhension.

Je déplore aussi de trop longues et fréquentes références à la pièce de théâtre Rosencratz et Guildenstern de Tom Stoppard, qui revêt une importance symbolique pour Eddie Christie.  Qu'elle représente presque un personnage à part entière finit par être ennuyeux. De même pour le personnage de Bessie Coleman, une des premières aviatrices femmes et noires, le modèle de Dolores. A la fin du roman, le lecteur pourrait en faire la biographie. Les nombreuses images d'archives qui agrémentent l'ouvrage n'apportent pas grand chose non plus.

Ce que l'on sème est typiquement le genre de livre qui promet une lecture riche et passionnante mais qui au fur et à mesure devient trop sophistiqué pour être facilement lisible. La multiplicité des personnages fait qu'on relit les même scènes deux fois, qu'on ne sait plus qui a fait quoi ni quand. Même en étant intéressé et concentré, la lecture devient laborieuse. C'est dommage car l'idée était excellente, pas inédite certes, mais c'est toujours un plaisir de suivre des fresques familiales. Regina Porter a un talent indéniable et il est certain que beaucoup trouveront ce roman formidable. En ce qui me concerne, le mieux est l'ennemi du bien et un peu plus de simplicité aurait été la bienvenue.