Nicholas Brady travaille chez un disquaire de Berkeley, en Californie. Ce n'est pas vraiment ce qu'il comptait faire de sa vie, mais il s'y trouve bien, et puis il a une famille à nourrir. Il aime la musique classique et les discussions avec son meilleur ami, le célèbre écrivain Philip K. Dick. Ils parlent de tout et de rien, mais souvent de politique. Impossible d'y échapper depuis que les États-Unis ont élu comme président Ferris F. Fremont et que ce dernier a étendu son emprise fascisante sur le pays. Sa milice, les Amis du peuple américain, surveille de manière constante les faits et gestes de chaque citoyen, prêts à éliminer quiconque semble affilié à la mystérieuse organisation communiste Aramchek.
Nicholas fait des rêves bizarres. Il a l'impression qu'on s'adresse à lui dans son sommeil, sans qu'il sache exactement s'il s'agit de Dieu, d'une entité extraterrestre ou d'une expérience de télépathie soviétique. Dans le doute, il a décidé de baptiser son mystérieux interlocuteur SIVA : « Système Intelligent, Vivant et Agissant ». Phil est perplexe : même pour lui, ça ressemble trop à de la mauvaise science-fiction. Mais quand il assiste en direct à une transmission de SIVA à Nicholas, par l'intermédiaire d'un rayon de lumière rose, il doit se rendre à l'évidence : SIVA existe. Mais que veut-il ? Abattre Fremont ? Mais quel rôle quelqu'un d'aussi insignifiant que Nicholas pourrait-il jouer dans une conspiration d'ampleur littéralement cosmique ?
Radio libre Albemuth est un roman très bizarre, ce qui s'explique quand on connaît son histoire. Entre février et mars 1974, Philip K. Dick (le vrai, pas le personnage) subit une sorte de crise mystique qui se traduit par une série d'hallucinations vivaces durant lesquelles il a l'impression de subir un dédoublement de personnalité. Cherchant à faire sens de cette intense expérience, il se documente en profondeur sur le christianisme gnostique des premiers siècles de notre ère et rédige un journal intime de plusieurs milliers de pages, rempli de théories toutes plus alambiquées les unes que les autres, qu'il baptise mi-pompeusement mi-ironiquement son « exégèse ».
La production littéraire de Dick en ressort également bouleversée : les romans qu'il écrit après 1974 sont en majorité des tentatives d'interprétations de ses visions. Chronologiquement, Radio libre Albemuth est la première de ces tentatives, ayant été rédigé dès 1976. Cependant, l'éditeur n'est pas franchement convaincu lorsqu'il reçoit le manuscrit et Dick décide de l'abandonner pour rédiger SIVA, qui sort en 1981. Il est suivi de L'invasion divine et La transmigration de Timothy Archer pour former une série souvent qualifiée de « trilogie divine ». Radio libre Albemuth est finalement publié en 1985, trois ans après la mort de son auteur, et décrit comme un « prélude » à cette trilogie.
À le lire, on comprend facilement la réaction de l'éditeur en 1976 ! Même pour un écrivain aussi particulier que Dick, Radio libre Albemuth est un bouquin franchement bizarre. La majeure partie du texte est consacrée à de longs dialogues dans lesquels Brady et Dick (le personnage, pas le vrai) s'efforcent de trouver un sens aux visions du premier, tout comme Dick (le vrai, pas le personnage) s'efforçait de trouver un sens aux siennes, qui sont d'ailleurs exactement celles qu'il attribue à Brady. Le livre peut se lire en ce sens comme une sorte d'autobiographie déguisée, ou en tout cas d'autofiction, mais ça ne le rend pas vraiment plus palpitant pour autant. Brady et Dick (le personnage, pas le vrai) constituent clairement deux facettes de la personnalité de Dick (le vrai, pas le personnage) et leurs dialogues ressemblent donc souvent à leurs soliloques, dans lesquels on ne retrouve que trop rarement la patte qui faisait de romans comme Substance mort de véritable chefs-d'œuvre. Et ce ne sont pas les rares scènes d'action ou de tension qui suffiront à maintenir l'intérêt du lectorat.
La lecture de Radio libre Albemuth est rendue d'autant plus étrange par la manière dont une grande partie du récit est purement et simplement intégrée dans SIVA, mais où elle constitue l'intrigue d'un film que les protagonistes de ce livre-là vont voir au cinéma. Avec le recul, c'était sans doute une bonne idée de la part de Dick, car prise au premier degré, l'histoire de Ferris F. Fremont contre Aramchek est loin d'être la meilleure jamais sortie de son esprit déjanté. Son entreprise de recyclage ne s'arrête pas là, puisqu'on retrouve aussi des idées de Radio libre Albemuth dans L'invasion divine.
Avec tout ça, force est de conclure que l'intérêt de ce roman est davantage d'ordre historique que littéraire. Les aficionados de Dick, et plus particulièrement de sa trilogie divine, pourront y trouver leur compte, mais les autres resteront sans doute sur le carreau.