Dans la ville de Fer, tout le monde a intérêt à marcher droit et à respecter le tout-puissant Consortium. Obéissez à ses ordres, soyez un gentil petit travailleur bien docile, faites-vous oublier, n'essayez pas de vous distinguer d'une quelconque manière, et vous aurez le droit de poursuivre votre misérable existence. Il existait jadis des individus pour aller à l'encontre de cette philosophie terne et sans espoir. On les appelait les Créateurs, car ils savaient faire jaillir de leurs esprits et de leurs mains toutes sortes de choses. Mais le Consortium, l'imagination, il n'aime pas ça : pas rentable. Alors, les Créateurs ont tous été exterminés. Tous, sauf un : le dernier Créateur. Son histoire vaut la peine d'être racontée… mais en quoi consistait-elle, au juste ?
Les Livres Dont Vous Etes le Héros ont connu leur âge d'or dans les années 1980. Le grand public les a depuis largement oubliés, mais le genre ne s'est jamais complètement éteint et il continue discrètement son petit bonhomme de chemin, chez des éditeurs moins en vue que jadis, mais pas moins méritants. Il a également su s'émanciper des limites de la littérature jeunesse pour proposer des expériences plus profondes, susceptibles de plaire à un public plus âgé que les enfants et adolescents qui se régalaient avec les Défis Fantastiques ou les Loup Solitaire il y a quelques décennies de cela. C'est clairement dans ce filon que se situe Le dernier Créateur.
L'aventure retrace une période cruciale dans la vie du personnage éponyme, période durant laquelle ses choix ont des conséquences significatives sur son existence et sur le monde qui l'entoure. Elle peut se finir assez rapidement, mais offre un bon potentiel de rejouabilité, avec une quinzaine de fins plus ou moins positives à découvrir. Le chemin qui mène à certaines est particulièrement tortueux, car le sort du héros ne dépend pas uniquement des choix que l'on fait à la lecture, mais aussi de quatre scores dont il faut suivre l'évolution. Ce sont l'Humanité, l'Optimisme, l'Intelligence et la Dextérité du héros. En fonction de leur niveau, certaines possibilités s'ouvriront ou, au contraire, se fermeront. Si l'on ajoute à cela qu'il est nécessaire de tenir compte de ses finances et de son inventaire, l'utilisation d'une feuille de papier et d'un crayon (ou d'un logiciel de prise de notes) s'avère indispensable. Dommage que le format epub ne permette pas de gérer cela automatiquement, même s'il propose tout de même des liens cliquables pour se rendre d'un paragraphe à l'autre et évite ainsi de fastidieux allers-retours, ainsi que le risque de divulgâchage.
Pour ce qui est de l'aspect livre de ce livre-jeu, on a ici affaire à une fiction dystopique qui multiplie les clins d'œil aux grands noms du genre, tels que 1984 ou Brazil. On y retrouve le protagoniste décalé qui finit par se révolter contre le système inique et oppresseur qui gouverne son monde, les quelques lueurs d'espoir noyées dans la grisaille universelle, les gouvernants assoiffés de pouvoir qui écrasent le petit peuple pour le seul plaisir de le faire, la propagande d'État, et ainsi de suite. À trop vouloir bien faire, le propos de Lancelot Sablon est parfois un peu balourd, et desservi par quelques méchants faux-pas stylistiques qui détonnent d'autant plus que la plume est dans l'ensemble très agréable. Toutefois, on peut difficilement s'y opposer : ce n'est pas sur les Chroniques de l'imaginaire qu'on trouvera à redire à un livre qui loue les bienfaits de l'imagination et de la créativité !
