Hans Fallada, né en 1893 et mort en 1947, aura connu la pire période de l'histoire allemande, faite de guerre, d'humiliation et de privations. Après plusieurs métiers (gardien de nuit, exploitant agricole...), il est devenu journaliste puis écrivain. Son expérience de vie et son acuité lui auront permis de mettre en roman la vie du peuple allemand de façon réaliste.
Dans Le cauchemar, Hans Fallada met en scène le couple Doll. Ils ont fui Berlin pour se réfugier dans un village, où ils vivent du travail de leurs bras. Ils attendent avec impatience l'arrivée des Russes, qu'ils considèrent comme des libérateurs, venus chasser les troupes allemandes tandis que les autres villageois craignent pour leur vie et pour leurs biens. Il n'y aura ni pillage, ni crimes, ni saccage. Mais les Russes ont peu de considérations pour ces Allemands, qu'ils mènent au doigt et à la baguette. Par un concours de circonstances, ils désignent Doll pour être le maire du village. Le voilà chargé de débusquer ex-nazis et caches de nourriture. Un rôle qu'il endosse avec gêne, tant la misère de ses concitoyens est grande.
Cette première partie, intitulée La chute, explore le sentiment qu'un Allemand à cette époque, quoi qu'il pense, dise ou ait fait, sera toujours considéré comme un ennemi.
"Et lui, qui savait cela parfaitement, qui savait que le terme Allemand était devenu un gros mot de par le vaste monde, il s'était planté devant eux dans l'espoir stupide qu'ils remarqueraient que "des Allemands convenables" existaient aussi."
En septembre de l'an de disgrâce 1945, les Doll sont contraints de rentrer à Berlin. Ils sont impatients de retrouver leur appartement, confiés aux bons soins de leur locataire. Un malheur n'arrivant jamais seul, ils ont été chassés de chez eux, bien que la locataire essaye d'expliquer qu'elle a tout fait pour préserver leurs biens. A la rue, les Doll trouvent des arrangements et parviennent à survivre au quotidien. La difficulté étant que Frau Doll, en raison d'une jambe mal soignée, est devenue toxicomane et qu'il lui faut ses seringues de morphine tous les jours.
A travers le destin des Doll, c'est le quotidien des Allemands qui est raconté. Il n'y a plus la peur des bombardements mais la misère, la peur, la saleté, la faim perdurent.
Il ne s'agit pourtant pas d'un récit où le pathos règne en maître. Herr Doll, malgré les épisodes de découragement, met beaucoup d'énergie pour se sortir du marasme dans lequel lui et sa femme pataugent. Elle-même trouve des ressources insoupçonnées lorsqu'elle sent son homme faiblir. Malgré leur grande différence d'âge, tous deux s'aiment d'un amour fort et sincère qui leur donne un souffle de vie exacerbé. Leur couple fait office de lumière dans cette nuit noire qu'est Berlin après la guerre.
La force de ce récit, c'est de mettre en avant des sentiments que les étrangers n'autorisaient pas aux Allemands. S'ils souffrent, tant pis pour eux, ils l'ont bien cherché. Hans Fallada démontre qu'en toute chose il faut nuancer et que les Allemands souffraient d'une double peine : être malheureux et ne pas avoir le droit de le dire. Même si ce roman n'est pas des plus joyeux, il n'est pas déprimant dans le sens où l'auteur et ses personnages font preuve de sens de l'humour, souvent cynique mais efficace. Les situations sont parfois si désespérantes et absurdes qu'elles basculent dans le tragi-comique.
Somme toute, un roman à ne pas lire quand on a le moral dans les chaussettes mais intéressant pour s'immerger dans le quotidien allemand d'après-guerre et pour l'écriture particulièrement fine d'Hans Fallada.