Mirabelle vit dans un manoir isolé près du village de Rookhaven avec sa famille et n’a jamais quitté l’enceinte de la propriété. Il faut dire que ce n’est pas une adolescente ordinaire. Elle ne mange ni ne boit ; contrairement à sa famille qui se délecte de viande crue à la nuit tombée. Ses passions incluent l’élevage des Fleurs de la Déchéance divine, des plantes carnivores voraces et gigantesques, et la danse dans la Salle des Poignards, qui laisse filtrer des rayons de soleil mortels pour elle et ses semblables. Elle est particulièrement proche d’Olibrius, aventurier de trois-cent ans à l’allure d’un adolescent de douze ans. Son oncle Enoch, son oncle Bertram et sa tante Eliza sont aussi chers à son cœur, même si elle supporte plus difficilement les jumelles Dotty et Daisy, à l’allure de fillettes le jour et pestes en permanence.
Son quotidien est bouleversé quand plusieurs événements majeurs surviennent au même moment. Les Sphères annoncent la venue au monde d’un nouveau membre de la famille. Une déchirure s’opère dans le voile protégeant le manoir des étrangers extérieurs au village. Jem et Tom, deux jeunes orphelins, venus de loin pour échapper à la maltraitance et à la misère, parviennent à Rookhaven. Au village, le chagrin ressenti par la perte d’êtres chers lors de la guerre atteint justement un seuil culminant, par exemple dans la famille du boucher qui ne communique plus, notamment avec Freddie, devenu fils unique.
L’ensemble de ses événements va conduire les habitants du manoir et de Rookhaven, Jem et Tom au-delà de grands dangers.
Parlons d’abord de l’objet ! Comme d’habitude, les éditions Lumen nous ont concocté un livre magnifique. La couverture capture superbement l’ambiance régnant dans le manoir et cela ne s’arrête pas là.
Les illustrations d’Edward Bettison se retrouvent également à l’intérieur de l’ouvrage. Elles ancrent encore plus le récit dans la lignée des romans d’horreur gothiques dont il est issu. Les premières nous présentent en outre les personnages principaux de la famille du manoir, un aide-mémoire très utile pour les premières pages et qui sera sans nul doute apprécié par les jeunes lecteurs. La réception de notre édition s’est d’ailleurs accompagnée de petites cartes toutes aussi belles, ressemblant à des cartes à jouer mais révélant les identités diurnes et nocturnes des membres de la famille. Mais qu’en est-il de l’ouvrage ?
La narration alterne entre Mirabelle, Jem, Freddie et, par moment, un autre membre de la famille dont je ne divulguerai pas l’identité. Cette mixité de points de vue sert le récit. La thématique de l’altérité est en effet au cœur de l’intrigue. Ainsi, on découvre la manière dont chaque personne perçoit les événements de manière différente, fait face à ses propres enjeux et cherche à comprendre ceux des autres. Si Mirabelle représente les habitants de la maison, Freddie les villageois et Jem les étrangers à Rookhaven, chaque adolescent va parfois se trouver en marge de son propre groupe. Les narrateurs sont aussi intéressants et appréciables les uns que les autres. Leurs histoires personnelles sont bien développées et tous ont des problèmes à surmonter. On prend donc véritablement plaisir de passer de l’un à l’autre. Allant de pair avec cette thématique de l’altérité, la monstruosité supposée des habitants du manoir est sans cesse questionnée, de manière plus ou moins directe.
Le rythme de l’intrigue est très bien dosé. La première partie prend le temps de familiariser le lecteur avec l’univers, tout en ne négligeant pas quelques moments d’action. La tension va ensuite crescendo. Le dénouement du conflit final est surprenant.
Pour résumer, Les Monstres de Rookhaven est un excellent roman jeunesse. Il plaira à tous les jeunes (et moins jeunes) lecteurs adeptes de manoirs peuplés de mystères, de monstres qui n’en sont peut-être pas et d’histoires d’amitié.