Ils sont une douzaine d'hommes et de femmes à être arrivés sur Delmak-O, obscure planète des confins de la galaxie, à bord de petites fusées en aller simple. Ils n'ont a priori rien en commun : l'un est océanographe, l'autre médecin, encore un autre psychiatre, et ainsi de suite. Pourtant, ils ont tous été invités sur ce monde pour participer à un projet tenu secret.
Tellement secret, en fait, que quand la communication satellite qui était censée les informer des raisons de leur présence plante, ils se retrouvent non seulement coincés sur Delmak-O sans espoir de secours, mais toujours sans la moindre idée de ce qu'ils sont censés faire sur cette étrange planète où les bâtiments se déplacent, les mouches chantent et une drôle de créature, le tench, duplique les objets qu'on lui présente et répond de manière oraculaire aux questions qu'on lui pose.
Comme si cela ne suffisait pas, les apprentis colons commencent à périr les uns après les autres, dans des circonstances toujours plus troubles... C'est une course contre la mort qui s'engage pour dépasser les trompeuses apparences et percer le mystère de Delmak-O.
Si Agatha Christie avait écrit son fameux And Then There Were None sous LSD, le résultat aurait peut-être ressemblé à Au bout du labyrinthe. On retrouve en effet dans ce roman de Philip K. Dick pas mal d'ingrédients qui évoquent davantage le whodunit que la science-fiction : le huis clos, les meurtres en série, la galerie de personnages variés qui se soupçonnent les uns les autres, et l'escalade dans le mystère jusqu'à la révélation finale qui vient tout éclaircir.
Hélas, Dick n'a pas le talent d'une Christie pour concevoir des personnages. Son dramatis personæ se compose en majeure partie de caricatures (le gars violent, la bimbo, l'ascète mystique, la femme frigide, l'hypocondriaque...) dont la plupart (en particulier les femmes) n'ont jamais l'opportunité d'être développés de manière un tant soit peu mémorable. Sa façon de les décrire (et dont ils se décrivent eux-mêmes) comme des losers égocentriques, un diagnostic largement confirmé par leurs faits et gestes, n'aide pas non plus à les rendre sympathiques.
Heureusement, Dick possède également des dons dont la créatrice d'Hercule Poirot n'a jamais disposé, au premier rang desquels une capacité inégalée à distiller dans ses écrits la paranoïa sous sa forme la plus pure. Comme tous ses personnages sont infects, on est forcément amené à partager leurs soupçons sans que la narration qui alterne entre différents points de vue ne permette d'innocenter le moindre d'entre eux. L'environnement dans lequel ils sont plongés est aussi loin de la campagne anglaise chère à Miss Marple : inconnu, menaçant, incompréhensible, il contribue à merveille à l'atmosphère étouffante du récit, même si les descriptions sont ici aussi trop peu poussées pour permettre une réelle immersion dans le monde de Delmak-O.
Il en va de même pour l'une des idées les plus originales du livre, à savoir son approche de la religion. Dans cet univers, l'existence de Dieu a été démontrée scientifiquement et il s'avère qu'il existe sous trois formes, avec un antagoniste diabolique qui réduit à néant ses efforts créateurs (Dick a l'air très fier de cette théologie dans son avant-propos, mais ça ressemble quand même pas mal au christianisme). Ce qui est particulièrement intéressant, c'est qu'il est possible d'adresser des prières à cette divinité, qu'elle exaucera pour peu qu'elles lui parviennent, ce qui peut être facilité par l'utilisation de moyens de communication technologiques, émetteurs et relais-satellites. C'est l'amorce d'une théologie potentiellement fascinante, mais qui n'est jamais réellement approfondie et reste une caractéristique superficielle de l'univers. Dommage.
En fin de compte, la partie la plus mémorable de ce livre, c'est bien son retournement de situation final. La solution à laquelle a recours l'auteur pour tirer ses protagonistes de leur pétrin sort de nulle part et, sans trop en dévoiler, je peux dire qu'elle ne fait que les enfoncer encore plus profondément dans une galère dont ils ne pourront jamais se tirer. Un vague espoir semble promis à l'un des personnages, mais il pourrait tout aussi bien s'agir d'une hallucination suscitée par une violente dépression nerveuse. En tournant la dernière page, le cafard est de mise.
Dans l'ensemble, Au bout du labyrinthe ne me semble pas être une œuvre essentielle de Philip K. Dick, surtout si l'on prend en compte le fait que ce roman est paru après des chefs-d'œuvre tels que Le dieu venu du Centaure, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ou encore Ubik. Les novices auront tout intérêt à se tourner vers l'un ou l'autre de ces livres et à se réserver pour plus tard ce morne voyage vers la sinistre Delmak-O.