En mai 2021, à Chambéry, Nordahl Lelandais a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour le meurtre du caporal Arthur Noyer, commis en avril 2017. Depuis le lundi 31 janvier 2022, il est également jugé à Grenoble pour l’enlèvement, la séquestration et le meurtre de la petite Maëlys de Araujo, huit ans, disparue en août 2017. Le procès, suivi par plus de deux-cent-cinquante journalistes accrédités, devrait durer jusqu’au 18 février.
Fascination morbide ou réels attraits pour la criminologie, on ne peut nier que ce fait divers soulève bien des passions au sein de notre société. Des réactions d’autant plus virulentes qu’à travers la victime (une enfant) et le contexte dans lequel la disparition a eu lieu (lors des festivités d’un mariage), beaucoup d’individus arrivent à se projeter dans le drame vécu par les familles. En effet, par les nombreuses inquiétudes qu’il suscite, ce drame participe à relancer les affres d’une peur collective de l’incarnation contemporaine du Mal.
Pour comprendre qui se cache derrière Nordahl Lelandais, ce trentenaire aux allures de « Docteur Jeykill et Mister Hyde », la journaliste Aude Bariéty a enquêté auprès de plusieurs protagonistes au cœur de ces deux affaires. Son livre reprend ainsi point par point les étapes et les enjeux du procès Noyer afin d’aborder l’itinéraire criminel qui conduit tristement au procès Maëlys.
Si depuis le début les deux affaires sont intrinsèquement liées, on comprend vite que le rythme d’instruction et le profil des deux victimes diffèrent. D’où la nécessité, voire l’impératif pour chaque partie civile, d’avoir deux procès bien distincts. Parallèlement, l’avancée des dossiers a conduit à l’ouverture d’une cellule dite Ariane. L’objectif était de permettre aux gendarmes d’éplucher les anciens cas de disparitions jusqu’alors « restés béants d’incertitudes (…) et de dénicher d’éventuelles correspondances avec le parcours de vie du Savoyard ».
Après des mois, il ne reste plus qu’une quarantaine de dossiers sur les neuf-cents de départ. Fin octobre 2020, la cellule Ariane est dissoute au profit d’un nouveau service au sein du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale : la Diane, pour « division des affaires non élucidées », sorte de cold case à la française. Une belle avancée qui aura eu le mérite de remettre sous le feu des projecteurs des affaires tombées dans l’oubli.
On ne peut cependant pas charger Nordahl Lelandais à tout prix et lui incomber des crimes qui ne sont pas les siens. Même si avant d’admettre, une fois seulement acculé face à l’évidence des preuves scientifiques, l’homme ment. Il passe son temps à mentir, à lui-même, à sa famille, à ses amis. Il s’invente une vie remplie d’opérations militaires, de succès professionnels, il joue sur plusieurs tableaux amoureux et se réfugie dans la drogue et l’alcool pour altérer sa triste réalité. Même les expertises psychiatriques ne parviennent pas à lever les doutes sur cette personnalité à la fois « dyssociale, borderline et narcissique ». Comme si lui seul pouvait faire tomber le masque et dévoiler ses derniers, et dangereux, retranchements.
Ce qui ressort en premier après cette lecture, c’est un sentiment de précipitation. Un peu comme si ce récit avait été écrit dans la hâte d’une parution avant l’ouverture du procès Maëlys. Il en résulte quelques fautes, notamment dans la concordance de certaines dates (voir « commis en octobre 2018 », impossible puisqu’il était déjà incarcéré, p.71) et des répétitions qui alourdissent tout autant qu’elles meublent les pages.
Pour ceux et celles qui s’étaient déjà bien imprégnés des comptes rendus d’audience par le biais des médias, autant écrits que télévisuels, ce livre n’apporte pas forcément grand-chose de plus que ce qui a déjà été relaté. En revanche, certains passages sont plus prenants que d’autres et on sombre avec émotion dans le parcours de vie chaotique d’un homme devenu meurtrier.
Comme le dit l’auteure, les procès d’assises sont « une véritable plongée dans l’intime, souvent douloureuse et impudique mais nécessaire – dans une certaine mesure – pour comprendre et juger la personne accusée d’un crime ». Les témoignages les plus marquants resteront sans aucun doute ceux attribués à Arthur Noyer, à travers l’évocation de souvenirs d’enfance, de moments entre amis ou en famille. Les derniers traits d’une personnalité solaire, remplie d’amour et de bienveillance pour l’ensemble de ses proches.
Je continuerai de suivre, tant bien que mal, le compte rendu quotidien du procès Maëlys et j’ai bon espoir de voir, une fois le jugement rendu, s’ajouter à ce livre des éléments complémentaires afin de pouvoir définitivement tourner la page.