Enfance rassemble les premiers chapitres des Mémoires de Madame Roland, écrits pendant son emprisonnement durant la Terreur. Née Manon Phlipon, Madame Roland est connue pour avoir exercé une influence politique majeure sur les Girondins, notamment à travers la carrière politique de son mari Jean-Marie Roland de la Platière. Elle fut exécutée le 8 novembre 1793. Elle devint par la suite une source d’inspiration pour les Romantiques, comme pour le poète Lamartine ou pour Stendhal qui voyait en elle une lectrice idéale de ses œuvres.
Cet ouvrage comporte une courte présentation rédigée par son éditrice Martine Reid. Elle y rappelle les circonstances d’écriture des Mémoires, le rôle politique décrié de leur autrice et y aborde en quelques lignes sa postérité. On plonge ensuite directement dans la vie de celle qui est encore à l’époque Manon Phlipon, l’ouvrage s’arrêtant à son adolescence malgré quelques évocations d’événements ultérieurs comme le décès de sa mère ou son mariage avec Monsieur Roland. On reconnaît d’emblée son talent d’oratrice et d’écriture à travers ses premières lignes, percutantes : « Fille d’artiste, femme d’un savant devenu ministre et demeuré homme de bien, aujourd’hui prisonnière, destinée peut-être à une mort violente et inopinée, j’ai connu le bonheur et l’adversité, j’ai vu de près la gloire et subi l’injustice. »
J’ai lu très peu d’œuvres de femmes de lettres écrites avant les années 1950, ce qui m’a poussée à choisir cet ouvrage. Évidemment, le travail des femmes était autrefois moins simple et moins reconnu, en témoignent les critiques mêmes à l’égard de l’influence politique de Madame Roland à son époque, et le nombre de femmes à même de s’illustrer était donc statistiquement moins élevé. Il n’empêche que des femmes se sont malgré tout distinguées au cours de l’histoire et que des collections comme celle Folio 2€ mettent à présent certains de leurs écrits à portée de tous, au même titre que des classiques écrits par des hommes. Cette initiative ne peut qu’être saluée.
Connaissant très peu la période révolutionnaire et n’ayant pas une culture littéraire très développée, je n’avais jamais entendu parler de Madame Roland. Je précise ces aspects car je pense qu’il n’est pas nécessaire d’être plus informé pour lire ce livre, très accessible. Être un lecteur curieux et appréciant les autobiographies suffit amplement.
Outre la qualité de l’écriture de Madame Roland, j’ai été frappée par la modernité et la franchise de certains de ses propos. Je n’aurais pas cru trouver des passages sur son éveil à la sexualité et sur ses émotions face à la puberté dans un ouvrage de cet âge. On y découvre surtout son éveil intellectuel. Cultivée d’abord par son entourage et son expérience au couvent, Manon Roland s’ouvre bien davantage aux idées nouvelles à travers ses lectures, qui évoluent au fil du temps pour embrasser des auteurs de plus en plus progressistes. À travers ses mots, on entrevoit la manière dont ces nouvelles lectures entrent en résonance ou en conflit avec son instruction bourgeoise et religieuse, comment la jeune fille finit par s’affranchir de certaines de ses croyances pour adopter un pragmatisme patriotique, prélude à son engagement révolutionnaire. Bien entendu, il est probable que les jeunes lecteurs modernes aient lu peu des ouvrages mentionnés par Madame Roland, si ce n’est quelques extraits de Rousseau ou de Voltaire au lycée. Encore une fois, ce n’est pas un élément de nature à gâcher la lecture. Les lecteurs les plus curieux pourront même y trouver des titres à noter dans un coin, pour de prochaines découvertes.
Les appendices livrent quelques éléments biographiques complémentaires sur Madame Roland, ainsi qu’une liste d’ouvrages lui étant consacrés.
En résumé, Enfance est un ouvrage curieusement accessible pour le lecteur moderne et peu versé dans les arcanes des conflits politiques révolutionnaires. L’autrice y révèle sa nature à la fois réfléchie et enflammée, son cheminement intellectuel et sa maîtrise de la langue qui ont sans nul doute contribué à sa chute comme à son éloge posthume.