Les Chroniques de l'Imaginaire

Un monstre est là, derrière la porte - Bélem, Gaëlle

Île de la Réunion, au début des années 80. La jeune fille, personnage principale de ce roman, naît au sein d’une famille déjà désunie, de parents qui ne se seront aimés que quelques mois avant de tomber d’abord dans l’indifférence mutuelle, puis dans la haine. Le tout mâtiné d’alcoolisme et de pauvreté, telle est l’enfance qu’elle subira, avant de comprendre, au fil du temps, que cette violence et cette indifférence envers elle ne sont que la répétition du passé familial.

Mais l’enfant ne veut pas se laisser faire. Elle apprend, elle assimile, et elle déjoue les pièges que lui tendent les adultes. Mais ce n’est qu’une enfant. Elle croit encore parfois à leurs mensonges, jusqu’au jour où elle décide qu’elle ne sera jamais comme eux, qu’elle va réussir à s’en sortir. Elle va commencer à écrire. L’écriture sera sa bouée de sauvetage et la passerelle qu’elle espère pour un monde meilleur.

Mais on n’échappe pas aussi facilement à son passé, et aux légendes qui entourent sa famille.

Premier roman de l’autrice, couronné de plusieurs prix en 2020 (Prix André Dubreuil du premier roman, et Grand prix du roman métis des lecteurs de la ville de Saint-Denis), cette histoire est un témoignage assez glaçant de ce qui se cache derrière le décor de carte postale de la Réunion.

Glaçant effectivement quand on referme le livre, mais aussi plein d’un humour féroce qu’on retrouve tout au long des pages par petites touches, mais aussi dans le glossaire en fin de volume, qui nous permet de nous familiariser avec certaines expressions réunionnaises. On sent que l’autrice a pris plaisir à écrire ces définitions et certaines analogies sont très drôles. Et très justes.

L’histoire de cette enfant, puis adolescente et enfin jeune femme est pleine d’une rage et d’une envie de vivre autre chose qui semble tellement manquer à son entourage. Les descriptions de la vie quotidienne, de la pauvreté ambiante et de la nonchalance des habitants de son quartier sont saisissantes. On sent qu’elle veut s’en sortir, qu’elle ne veut pas être une Dessaintes (nom très connu pour de mauvaises raisons sur son île), mais qu’elle compose avec. Le rejet familial est dans les deux sens. Ses propres parents ne l’aiment pas, et sont la majeure partie du temps indifférents envers elle. On est heureux pour elle quand elle arrive à s’en détacher pour aller vivre seule de son côté.

La découverte de cette île à travers les yeux de cette jeune fille a été pour moi très intéressante, mais c’est surtout son envie d’écrire, féroce, omniprésente, presque viscérale qui est pour moi l’âme de ce livre.

C’est donc un très bon bouquin pour ceux qui veulent en apprendre plus sur cette île qu’on connait si mal, à travers le témoignage de cette jeune femme qui n’hésite pas à livrer, sans jamais s’apitoyer, son histoire à la fois singulière et symptomatique qui se mêle à la situation générale de la Réunion à partir des années 80.