Au temps de Socrate, il y avait à Delphes une femme aux pouvoirs divinatoires qui délivrait ses prophéties au sein du temple d’Apollon. Lorsqu’un homme venait interroger son destin, il pouvait lire, bien avant d’entrer, une partie des conseils qu’on allait lui prodiguer, simplement inscrite au fronton du temple : « Connais-toi ».
Ce profond oracle, devenu un des principes fondamentaux de la sagesse, témoigne de la recherche d’une certaine forme d’excellence, celle qui doit guider l’action pour qu’advienne le meilleur de soi-même. Puisqu’ « un homme n’a guère d’autres ennemis que lui-même. Qu’il est toujours à lui-même son plus grand ennemi par ses faux jugements, par ses vaines craintes, par son désespoir, par les discours déprimants qu’il se tient à lui-même », il apparait donc judicieux pour une fois, de prendre le temps et le recul nécessaires pour se regarder un peu le nombril.
En ce sens, telle la prémisse du développement personnel, il était déjà entendu que le simple fait de s’interroger, pour mieux se connaître et comprendre ce qui est essentiel, constituait une des étapes clés pour s’améliorer. De ce fait, cela permettrait de prendre pleinement part à son bonheur et, puisse celui-ci être contagieux, par extension, participer à celui des autres.
Dans cet ouvrage, qui reprend trente fragments de l’une des œuvres phares du philosophe et humaniste contemporain Alain, œuvre plus connue sous le titre Propos sur le bonheur, on s’approche d’une lecture introspective dont chaque texte compose un exercice d’apprentissage en vue d’une meilleure réflexion.
Ainsi, ce ne sont pas moins de quatre-vingt-cinq pages divisées en des chapitres brefs, de deux pages et demi maximum, qui abordent une multitude de sujets variés, directement inspirés de l’observation de la vie quotidienne : argent, santé, dépendance, bonheur, espoir, persévérance, anxiété, déménagement, justice, guerre, paix, passion, jeux, ivresse du pouvoir, plaisir du travail, ennui de la paresse, mélancolie …
En fervent défenseur de la liberté, les mots qu’Alain choisit n’ont d’autres but que celui d’éveiller les esprits, en éloignant les jugements hâtifs et les idées préconçues qui mèneraient à des analyses erronées. Libre à chacun de s’approprier le contenu, l’ordre et le rythme de lecture de ces fugaces mais néanmoins profondes bribes philosophiques. D’autant que, même si certaines d’entre elles sont un peu vieux-jeu, la plupart demeurent toujours pertinentes au vu des priorités actuelles : profiter des petits moments et leur donner du sens plutôt que de se lancer dans une course effrénée et démesurée aux plaisirs superficiels.
C’est une lecture qui peut apaiser, selon ce qu’on en attend. Parfois il y sera question de sujets plutôt sérieux (ex : la dépendance, la maladie) que l’on peut estimer être traités avec une sorte de facilité relativement déconcertante. D’autres fois, certaines réflexions ressemblent à des vérités un peu simplistes que l’on aurait souhaité voir davantage développées mais c’est le principe du genre littéraire des Propos. Comme s’ils portaient en eux une part de réponse, une part d’espoir et une part de mystère.
On peut parler de sensibilités, je préfère penser que c’est une affaire d’apprentissage. Enfant, mon père me parlait beaucoup de poésie, de musique et de philosophie. A ses heures perdues, certes, mais c’est quelque chose qui a toujours conduit nos échanges et qui les habitent encore aujourd’hui. Pas de façon sérieuse et pompeuse, mais plutôt comme une manière de livrer un bout de soi à travers un commentaire sur l’actualité, comme pour ponctuer le fil de ses pensées, avec toujours un fond sonore selon l’humeur du jour (le plus souvent des notes de blues ou la psyché des Pink Floyd). Ça pose un peu le contexte...
Ce qui m’est longtemps apparue comme une excentricité m’a finalement donné envie, avec le temps, de replonger dans ces écrits. Comme pour mieux comprendre le fonctionnement de cette introspection et, pourquoi pas, de crever les non-dits, de faciliter l’acceptation de nos erreurs et ainsi d’accompagner plus sereinement les prochaines générations. C’est un peu utopiste, mais c’est fait avec bienveillance (et c’est peut-être là le plus important dans l’histoire).
Après, il m’est réellement difficile de faire un retour objectif sur cet ouvrage tant c’est un choix personnel qui change complètement de mes lectures (officielles) de prédilection. Disons qu’il en va de ces enseignements, abordés au lycée de manière un peu scolaire et protocolaire, qui peuvent pourtant permettre d’appréhender les différentes rencontres et étapes au cours d’une vie.
Cette lecture, c’est aussi pour mieux supporter, sous couvert d’une volonté de sagesse et de maturité, certains de ces événements qui peuvent facilement bouleverser l’ordre des choses que l’on prenait à tort pour acquises. S’il est plus simple au départ de rejeter la faute sur les autres, force est de constater qu’à un moment donné, c’est peut-être par soi et pour soi qu’il faut commencer le travail de mise en perspective.
A « l’air » du développement personnel, on a tous entendu ou lu cette célèbre phrase : « La vie ce n'est pas attendre que l'orage passe mais apprendre à danser sous la pluie ». Une évidence qui vient heurter la capacité de tout un chacun à réagir face aux événements sur lesquels personne n’a la main mise directement. Il faudrait donc d’abord connaître ses failles et ses faiblesses pour canaliser son énergie et maitriser ses réflexes afin d’éviter l’enchainement de réactions néfastes sur le long terme. A méditer !